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(35) Le roi Mathias Ier

 

 

Lorsqu’eut lieu le dernier Conseil au cours duquel les invitations signées par Mathias devaient être mises dans les enveloppes et cachetées du sceau royal, Mathias attendit impatiemment le Secrétaire d’État pour voir comment il allait mettre dans les enveloppes la fausse déclaration de guerre à la place des vraies invitations aux rois pour l’ouverture du Parlement. Il fut très étonné de constater que le Secrétaire n’était pas là, mais seulement son adjoint.

— Les maisons seront-elles prêtes ? demanda Mathias.

— Certainement, toutes seront prêtes.

— Bien.

— Nous ferons ainsi : les solennités dureront une semaine. 

  • Le premier jour : office religieux, revue militaire, dîner de gala et grand spectacle au théâtre.
  • Le second jour : ouverture du Parlement des adultes.
  • Le troisième jour : inauguration du Parlement des enfants.
  • Le quatrième jour : ouverture du jardin zoologique.
  • Le cinquième jour : grand défilé des enfants partant pour la campagne pour tout l’été dans les immeubles que Mathias a construits pour eux dans les forêts.
  • Le sixième jour : grand bal d’adieu pour les rois étrangers.
  • Le septième jour : départ de tous les invités.[T1]

Mathias ajouta au programme du quatrième jour l’inauguration du monument au brave pilote qui avait péri dans son dernier voyage, et un grand divertissement pour les rois noirs. A tous ces divertissements devaient être présents les députés des deux Parlements. Le ministre Félix serait assis à gauche de Mathias et le président des ministres à droite. Cela signifierait que le ministre des adultes et le ministre des enfants étaient tout à fait égaux devant le Roi, et tous en s’adressant à Félix devraient dire « Monsieur le Ministre ».

Lorsque la délibération fut terminée Mathias signa les invitations aux rois étrangers :

  • Aux Blancs sur papier blanc.
  • Aux Jaunes sur papier jaune.
  • Aux Noirs sur papier noir.[T2]

Les invitations aux rois blancs étaient écrites avec de l’encre noire, aux jaunes avec de l’encre rouge et aux noirs avec de l’encre or.

Les invitations aux rois noirs, Bum-Drum devait les emporter. Celles des rois jaunes devaient être envoyées par leur ami le roi blanc. Mais d’avance il était convenu que le roi blanc garderait ces invitations chez lui et ne les enverrait pas. Les rois jaunes, alors, devaient se sentir offensés par Mathias et s’allier avec l’autre roi.

Le maître des cérémonies apporta une caissette contenant le sceau royal. Les invitations tour à tour furent mises dans les enveloppes et l’adjoint du Secrétaire d’État les scella avec de la cire rouge et verte.

Mathias regardait attentivement. Autrefois, toute cette cérémonie qui consiste à cacheter des lettres le faisait rire, et il la considérait comme inutile. Il se mettait en colère, considérant qu’elle durait trop longtemps. À pré sent, il avait compris que cela était important.

Toutes les lettres, à l’exception des trois dernières, étaient scellées. Ce cérémonial ennuyait les ministres qui pendant ce temps fumaient des cigares ou parlaient entre eux à voix basse. Pourtant le règlement interdit de parler lors de l’apposition du sceau sur les lettres royales. Ils ignoraient ce qui se passait.

Mathias, le président des ministres et le ministre de la Justice savaient tout.

Par la suite, le ministre des Affaires Étrangères se sentit très offensé qu’on ne lui eût rien dit.

L’adjoint du Secrétaire d’État pâlit, mais ses mains ne tremblaient point. Quand il introduisit les invitations aux rois blancs, subitement, il se mit à tousser, faisant semblant de chercher son mouchoir, de ne pas le trouver dans ses poches. Mais adroitement, il tira d’une poche, avec le mouchoir, des feuilles de papier semblables aux invitations et il cacha les autres ; seuls, ceux qui étaient au courant de tout pouvaient remarquer cette scène.

— Je demande pardon à Votre Majesté Royale, dit humblement l’adjoint, une vitre est cassée dans mon cabinet et ainsi j’ai pris froid.

— Oh ! Cela ne fait rien, dit Mathias. C’est même ma faute, car ce carreau, je l’ai cassé quand nous avons joué avec des boules de neige.

Il était content que cela ait si bien réussi.

Brusquement, le ministre de la Justice dit :

— Messieurs les ministres, je vous prie de faire attention. Messieurs, déposez vos cigares.

Les ministres avaient deviné que quelque chose venait de se passer.

Le ministre de la Justice mit ses lunettes et s’adressant à l’adjoint du Secrétaire d’État dit :

— Au nom de la loi, je vous arrête comme espion et traître. Conformément à l'article 174[T3], vous serez pendu.

L’adjoint commença à essuyer la sueur sur son front, ses yeux sort nient de ses orbites comme des boules, mais il feignit d’être calme.

— Monsieur le Ministre, je ne sais rien, je ne comprends rien. Je suis malade, je tousse. On a cassé une vitre dans mon cabinet. Je dois aller à la maison et me coucher dans mon lit.

— Non, petit frère[T4], tu ne t’enfuiras pas, on te guérira à la prison.

Cinq gardiens entrèrent et lui mirent des chaînes aux mains et aux pieds.

— Qu’arrive-t-il ? demandaient les ministres étonnés.

— Tout à l’heure, vous saurez… S’il vous plaît, que Votre Majesté brise le sceau[T5] de ces lettres.

Mathias ouvrit les enveloppes et montra les papiers substitués.

Il était écrit :

« À présent que tous les rois sauvages sont mes amis, je ne me soucie point de vous. Je vous ai battus une fois et je vous battrai une seconde fois. Alors, vous m’écouterez. Je vous déclare la guerre. »

Le cinquième gardien de la prison tira de la poche de l’adjoint du Secrétaire, en même temps que le mouchoir, les invitations toutes froissées destinées aux rois blancs.

On ordonna à l’inculpé enchaîné de signer un procès-verbal disant que tout cela était la vérité. Puis on convoqua par téléphone le Secrétaire d’État qui, effrayé, arriva aussitôt.

— Quel coquin ! cria-t-il. Je voulais venir moi-même, mais il a tellement insisté pour me remplacer ! Il m’a acheté un billet pour le cirque, en me disant que le spectacle serait beau. Moi, sot, je l’ai cru.

Bientôt, pour former le tribunal, cinq généraux arrivèrent.[1]

— Que l’accusé dise la vérité. Cela peut l’aider. S’il use de faux-fuyants, tout sera perdu.

— Je dirai la vérité.

— Depuis combien de temps l’accusé est-il espion ?

— Trois mois.

— Pourquoi l’accusé est-il devenu espion ?

— J’ai perdu beaucoup d’argent au jeu de cartes, je n’avais pas d’argent pour payer ; les dettes de jeu doivent être payées dans les vingt-quatre heures, alors j’ai pris l’argent de l’État.

— Vous l’avez volé !

— Je pensais que je pourrais rembourser, que j’allais regagner cette somme. J’ai joué de nouveau pour me refaire et j’ai perdu encore plus.

— Quand était-ce ?

— Il y a environ six mois.

— Ensuite, que se passa-t-il ?

— Ensuite ? J’avais continuellement peur : peur d’une perquisition, peur qu’on me mette en prison. Alors je suis allé chez le roi étranger et je suis devenu son espion.

— Combien vous a-t-il payé ?

— Cela dépend ! Pour des informations importantes, je touchais beaucoup ; pour d’autres de moindre importance, peu. Pour cette action, je devais recevoir une somme énorme.

— Messieurs les Généraux-Juges, dit le ministre de la Justice, cet homme répond ici de trois crimes. Son premier crime : il a volé l’argent de l’État. Le second : il est espion et le troisième : il voulait qu’une guerre ait lieu, au cours de laquelle de nombreux[T6] innocents auraient péri.

  • J’exige pour lui la peine de mort, conformément à l’article 174[T7]. L’accusé n’est pas un militaire, alors il n’y a pas lieu de le fusiller. Il suffira tout simplement de le pendre.
  • En ce qui concerne le Secrétaire d’État, il est responsable de son adjoint. Moi aussi, j’aime aller au cirque, mais à une réunion aussi importante il devait venir en personne et ne devait pas envoyer un espion. C’est une grande négligence de sa part et pour cela, de droit, il lui revient une demi-année de prison.[T8]

Les juges se retirèrent, pour délibérer. Mathias s’approcha du Président des ministres et, en chuchotant, il lui demanda :

— Pourquoi « notre espion » a-t-il dit que cela devait être fait par le Secrétaire et non par son adjoint ?

— Eh bien, les informations des espions ne peuvent pas être tout à fait certaines. Ils ne peuvent pas trop demander, cela attirerait l’attention sur eux. On trouverait bizarre le fait qu’ils veuillent tout savoir en détail. Ils doivent donc être très prudents.

— Comme notre espion a eu raison de conseiller la ruse ! reprit Mathias. Qu’on ne se presse pas trop pour arrêter le Secrétaire et qu’on attende jusqu’à ce que le Conseil ait lieu. Cependant tout ce temps j’étais très tourmenté et je m’étonnais qu’on ne l’arrête pas encore.

— Il ne faut pas agir ainsi. Le mieux c’est de feindre de ne rien savoir, et de prendre en flagrant délit le coupable afin qu’il ne puisse s’esquiver sous aucun prétexte, c’est ce qu’avait conseillé notre espion.

Le maître des cérémonies frappa à trois reprises avec une canne en argent contre la table et les Généraux entrèrent dans la salle.

— L’arrêt est le suivant : « Le Secrétaire d’État est condamné à un mois d’arrêts et son adjoint sera pendu. »

Le condamné se mit à sangloter, demanda grâce. Il fit pitié à Mathias.

Du reste, Mathias se souvenait que lui-même s’était trouvé devant un tribunal militaire et qu’il avait été sauvé parce que les Juges hésitaient et s’étaient querellés sur la question de savoir s’il serait fusillé ou pendu.

— Le droit de grâce appartient à Votre Majesté Royale. La condamnation à mort peut être commuée en prison à perpétuité.

Mathias écrivit sur le verdict : « Je commue la peine en prison à perpétuité. »

Devinez à quelle heure Mathias alla dormir ? À trois heures du matin !


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Notes

[1] Les espions trahissant des secrets d’état sont souvent jugés par des tribunaux militaires. Celui-ci est pour le moins expéditif !

 

 

Commentaires sur la traduction

[T1] Correction typographique (des précédentes éditions françaises) pour la mise en forme de la liste.

[T2] Idem note précédente.

[T3] En remplacement de : « paragraphe 174 » (en français les codes et lois sont décomptés en articles et non en paragraphes).

[T4] Cette désignation surprenante révèle sans doute un problème de traduction [à l’étude].

[T5] En remplacement de : « cachet ».

[T6] En remplacement de : « tant d’inncocents ».

[T7] Idem note T3.

[T8] Correction d’un problème typographique courant des premières éditions françaises dans la transcription d’une suite de phrases ou d’interjections prononcées par la même personne (un tiret suivi d’une mise à la ligne avec emploi de guillemets).

 

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23/07/2004 - Revu le : 2/09/04