Chapitre précédent - Plan - Suite
(25) Le roi Mathias Ier

 

 

Le chef des sorciers des cannibales avait honte de ce qu’il avait fait en tentant d’empoisonner Mathias. Ce dernier lui pardonna. En guise de remerciement, le sorcier promit alors de lui montrer des tours de magie extraordinaires dont la révélation ne lui était permise que seulement trois fois dans sa vie. Tous s’assirent devant la tente ; on étala des peaux de tigres et le magicien commença. Il y avait beaucoup de tours que Mathias ne comprenait pas. Quelques-uns lui furent expliqués. Voici plusieurs de ces tours.

Le sorcier fit sortir d’une boîte un étrange petit animal et il le plaça sur sa main. Cet animal ressemblait à un petit serpent, il s’enroula autour d’un de ses doigts, sortit sa langue semblable à un fil, émit un étrange sifflement et s’accrochant par sa tête au doigt, se mit debout, la queue en l’air. Le sorcier l’arracha et montra une goutte de sang à son doigt. Mathias vit que les sauvages considéraient ce numéro du spectacle comme l’art suprême, quoiqu’il y eût pourtant bien d’autres tours plus étonnants. On lui expliqua que ce serpent était un être plus terrible et plus redoutable que le léopard et la hyène, car sa piqûre provoque la mort en une seconde.

Puis le sorcier entra dans le feu et des flammes sortirent de sa bouche et de son nez, et il ne paraissait pas souffrir.

Ensuite, il fit danser quarante-neuf volumineux serpents en jouant du pipeau. Puis il souffla sur un immense palmier qui avait au moins cent ans d’âge et ce palmier se mit à se courber lentement jusqu’à ce qu’il se brisât.

Il continua ses tours en traçant dans l’air une ligne avec un bâton entre deux arbres et passa dessus comme s’il marchait sur une planche. Il lança en l’air une boule d’ivoire et, au moment où elle tombait, il avança la tête : la boule tomba sur sa tête et disparut, et il n’en resta aucune trace. Ensuite, il tourna en rond affreusement vite et très longtemps. Lorsqu’il s’arrêta, tous le virent avec deux têtes et deux visages : l’un riait, et l’autre pleurait. Puis il prit un petit garçon, lui coupa la tête avec un glaive, mit celle-ci dans une boîte et exécuta autour une danse sauvage. Après qu’il eut donné un coup de pied à la boîte, quelqu’un à l’intérieur commença à jouer du pipeau, et lorsqu’il leva le couvercle, le jeune garçon était couché comme si rien ne s’était passé. L’enfant sortit et se mit à faire de la gymnastique. Le sorcier fit un autre tour avec un oiseau. Il le laissa s’envoler très haut et tira avec son arc : l’oiseau tomba, traversé par la flèche. L’oiseau arracha cette flèche avec son bec, vola vers le sorcier et la lui rendit. Puis il disparut.

Mathias pensait que cela valait bien la peine d’être victime d’un léger empoisonnement, quand à ce prix on avait le droit de voir tant de tours magiques.

Il visita le pays de son étonnant ami. Il voyageait souvent sur un chameau ou sur un éléphant. Il vit ainsi beaucoup de villages de Noirs situés dans des forêts immenses et magnifiques. Il n’y avait que des huttes et pas une maison construite en briques. L’intérieur de toutes les huttes était très sale, animaux et hommes y habitaient ensemble. Beaucoup de Noirs étaient malades, alors qu’il semblait si facile de les guérir. Le docteur distribuait des médicaments. Les Noirs lui en étaient très reconnaissants. Dans les forêts, on voyait des cadavres de Noirs déchiquetés par des animaux sauvages ou tués par la morsure des serpents venimeux.

Mathias s’apitoyait sur tous ces pauvres gens qui avaient été si bons pour lui.

Pourquoi ne se construisaient-ils pas de chemin de fer et n’installaient-ils pas la lumière électrique ? Pourquoi n’avaient-ils pas de cinémas ? Pourquoi ne bâtissaient-ils pas des immeubles confortables ? Pourquoi n’achetaient-ils pas de fusils pour se défendre contre les animaux féroces ? Pourtant ils possédaient tant d’or et tant de brillants que les enfants jouaient avec comme si c’étaient de simples éclats de verre.

Les pauvres Noirs souffrent parce que leurs frères, les Blancs, ne veulent pas les aider, ayant peur d’eux. Une idée vint alors à Mathias. Une fois revenu chez lui, il ferait paraître immédiatement dans les journaux cet avis que celui qui n’avait pas d’emploi pouvait aller travailler chez les Noirs pour leur construire des maisons en briques et des chemins de fer.

Ainsi pensait Mathias : tout en aidant les mangeurs d’hommes, il espérait en même temps se procurer de l’argent pour les réformes qu’il comptait faire dans son propre État.

Alors qu’il visitait une grande mine d’or, Mathias pria le roi Bum-Drum de lui prêter un peu de ce métal. Bum-Drum se mit à rire épouvantablement. L’or ne lui était pas du tout nécessaire et il pouvait offrir à Mathias autant d’or que ses chameaux pourraient en porter.

— Dois-je prêter à mon ami ? disait-il. Non ! L’ami blanc peut prendre tout ce qui lui plaît. Bum-Drum aime le petit ami blanc et veut bien lui rendre service jusqu’à la fin de sa vie.

Pour le départ de Mathias, le roi des cannibales organisa une grande fête d’amitié. C’était la coutume.

Une fois par an, les Noirs se rassemblaient dans la capitale pour élire ceux qui devaient être mangés par la cour royale pendant l’année à venir. Ceux que l’on choisissait se réjouissaient énormément et ceux que le roi ne désignait pas avaient beaucoup de chagrin.

Tous les candidats destinés à être mangés se lançaient dans une joyeuse et sauvage sarabande, et les non-élus marchaient à quatre pattes. C’était une sorte de danse funèbre et ils chantaient une triste mélopée comme s’ils pleuraient.

Ensuite, le roi se gratta un doigt avec un coquillage pointu, Mathias fit de même, et le roi des mangeurs d’hommes lécha la goutte de sang du doigt majeur de Mathias et Mathias fut obligé de l’imiter. C’était pour lui une cérémonie bien désagréable, mais instruit par la triste expérience qu’il avait faite lorsqu’on l’avait presque empoisonné, il ne s’en défendit pas et il accomplit tout ce qu’on exigea de lui. Après cet échange de sang, il y eut encore d’autres cérémonies : Mathias fut jeté dans un vivier où s’agitaient de nombreux serpents et crocodiles. Bum-Drum sauta dans le vivier et en retira Mathias.

Ensuite, on enduisit Mathias de graisse[T1]. Il devait sauter dans un feu ardent. Aussitôt, Bum-Drum sauta derrière lui et si rapidement le retira des flammes que seuls quelques-uns de ses cheveux furent roussis, mais il ne ressentit aucune brûlure. Puis Mathias fut obligé de sauter d’un très haut palmier et Bum-Drum le rattrapa si adroitement qu’il ne se blessa point.

Le professeur expliqua à Mathias à quoi servaient ces démonstrations. Lécher le sang signifiait que si Mathias se trouvait sans eau dans le désert, son ami lui donnerait alors son propre sang à boire pour que Mathias ne mourût pas de soif. Dans l’eau, même menacé par les plus grands crocodiles, dans le feu ou dans l’air, partout où Mathias serait en danger, son frère Bum-Drum se porterait à son secours en exposant sa propre vie.

— Nous, les Blancs, disait le professeur, nous écrivons tout sur le papier, mais eux qui ne savent pas écrire, ils concluent leurs accords de cette façon.

Mathias éprouvait des regrets en quittant ses amis. Une fois rentré, il voulait absolument convaincre les rois étrangers que les cannibales, tout en étant des sauvages, sont cependant des hommes bons. Il désirait que tous les rois pussent se lier d’amitié avec eux pour les aider. Mais pour atteindre ce but, il était nécessaire d’introduire une réforme dans les mœurs des Noirs. Il fallait qu’ils cessent d’être mangeurs d’hommes.

— Frère Bum-Drum ! dit Mathias lorsqu’ils parlaient le dernier soir. Je t’en supplie, cesse d’être cannibale.

Mathias expliqua longuement qu’il n’était pas beau de manger des hommes et qu’il était nécessaire de réformer cette coutume : il fallait perdre cette habitude. Alors beaucoup de Blancs viendraient ici et aideraient à organiser le royaume et pour tous les Noirs la vie serait plus agréable dans leur beau pays.

Bum-Drum écouta Mathias tristement. Il lui répondit qu’une fois déjà un roi avait voulu agir ainsi, mais à cause de cela, il avait été empoisonné. C’était donc une réforme très difficile à réaliser mais qu’il l’étudierait à nouveau.

Mathias alla se promener dans la forêt après cette conversation. La lune scintillait. Il faisait très beau et tout était silencieux. Mathias entendit un bruissement. Qu’est-ce que cela pouvait être ? Un serpent ou un tigre peut-être qui s’avance ? Il continua son chemin, de nouveau il perçut le même bruit : quelqu’un le suivait sans aucun doute. Mathias sortit son revolver et attendit.

Mais une petite fille Noire, la fille du roi des cannibales, la joyeuse Klu-Klu[T2] approchait. Mathias la reconnut dans un rayon de lune, mais il était très surpris. Que voulait-elle ?

— Que veux-tu, Klu-Klu ? demanda Mathias dans le langage des Noirs dont il avait déjà appris quelques expressions.

— Klu-Klu N' diara bini bila, Mathias, an betakha ignoufé. (Dialecte bambara)

Elle parla longtemps, mais Mathias ne comprenait rien. Il se rappela seulement : N’diara bini bila, an betakha ignoufé.

Il vit à ce moment que Klu-Klu était très triste et qu’elle pleurait. Mathias eut pitié de cette petite Klu-Klu. Elle avait certainement du chagrin. Alors, il lui donna sa montre, son miroir et un joli flacon. Mais Klu-Klu ne cessait pas de pleurer.

Qu’est-ce que cela voulait donc dire ?

Une fois revenu, Mathias interrogea le professeur. Celui-ci lui expliqua que Klu-Klu aimait sincèrement Mathias et qu’elle voulait partir avec lui.

Mathias demanda au professeur d’expliquer à Klu-Klu qu’elle ne pouvait pas partir toute seule, mais qu’il inviterait certainement son père, le roi Bum-Drum, en Europe, et alors sans aucun doute elle viendrait avec son père.

Mathias ne pensait déjà plus à la petite Klu-Klu, d’autant plus qu’avant le départ, il y avait énormément de travail.

Les cinq cents chameaux étaient chargés de caisses d’or et de pierres précieuses, de fruits divers, de boissons, de toutes sortes de friandises africaines, de vins, de cigares, autant de cadeaux destinés aux ministres. Il fut convenu que dans trois mois il enverrait des cages pour les animaux sauvages de son jardin zoologique. Il prévint qu’il enverrait, peut-être par avion, différents autres objets ; alors qu’ils ne s’effrayent pas quand atterrirait un homme blanc sur un grand oiseau de fer.

Le matin, ils se mirent en selle et partirent.

La route était dure, mais tous étaient endurcis et le désert ne les fatigua pas autant qu’à l’aller.

 

Avant - Plan - Suite

 

 

 

Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « d'une graisse ».

[T2]En remplacement de : « la petite Noire, la fille du roi des cannibales, la gaie Klu-Klu »

 

roi-mathias.fr | macius.fr - Association Française Janusz Korczak (AFJK)
Tous droits réservés, Paris 2004.
15/05/2004 - Revu le : 14/05/04