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(23) Le roi Mathias Ier

 

 

Le président du Conseil des ministres rentra chez lui tellement en colère que sa femme elle-même eut peur de lui demander ce qui venait d’arriver.

Le premier ministre déjeuna sans dire un mot ; ses enfants restèrent assis en silence pour ne pas être grondés.

Le premier ministre buvait d’habitude, avant le repas de midi, un petit verre de vodka, et pendant le déjeuner il ne buvait que du vin. Aujourd’hui, il refusa le vin et il but cinq petits verres de vodka.

— Mon époux… commença timidement la femme pour ne pas augmenter sa colère… Je vois que de nouveau tu as eu des ennuis au palais. Avec tous ces soucis, tu abîmeras ta santé.

— C’est quelque chose d’inouï ! explosa enfin le premier ministre[T1]. Sais-tu ce que fait Mathias ?

La femme du ministre soupira profondément.

— Sais-tu ce qu’imagine encore Mathias ? Mathias va rendre visite au roi des can-ni-ba-les. Comprends-tu ? Les plus sauvages de toute l’Afrique ! Là-bas, aucun roi blanc n’est encore allé. Comprends-tu… ? Ils le mangeront, c’est certain ! Je suis désespéré.

— Mon cher mari, n’existe-t-il pas un moyen de lui déconseiller ce voyage ?

— Bien sûr, si tu veux, alors détourne-le de ce projet ! Mais moi, je n’ai pas envie de retourner pour la seconde fois en prison. Il est têtu et bien léger.

— Eh bien ! Qu’arriverait-il (ce qu’à Dieu ne plaise) s’il était mangé ?

— Ah femme ! Comprends donc que nous devions actuellement amener toute la nation à gouverner. Le roi doit justement signer un papier (que nous nommons un manifeste) et l’ouverture solennelle du premier parlement doit avoir lieu.

— Qui signera le manifeste ? Qui ouvrira le parlement, quand Mathias sera mangé et qu’il croupira dans le ventre de ce sauvage ? Qu’ils le mangent dans un an, mais actuellement Mathias est absolument indispensable.

Une autre question tourmentait les ministres : il ne convenait pas de laisser Mathias partir tout seul pour un voyage aussi dangereux. Mais personne ne voulait l’accompagner.

Mathias se préparait très sérieusement pour le voyage. Et à travers toute la ville la nouvelle se répandit que le roi partait pour le pays des cannibales. Les adultes hochaient la tête, mais les enfants l’enviaient.

— Majesté Royale, disait le docteur, c’est très malsain d’être mangé. Ils voudront probablement rôtir à la broche Votre Majesté Royale ; la chaleur coagule l’albumine, alors Votre Majesté Royale…

— Mon cher Docteur, dit Mathias, j’aurais dû déjà être tué, fusillé et pendu ! Et je ne sais pas comment j’ai réussi à éviter tout cela. Peut-être que ce prince sauvage dit la vérité. Ils sont peut-être hospitaliers et ils ne me rôtiront pas. Voilà, j’en ai décidé ainsi, j’ai promis, et les rois doivent tenir leur parole.

On décida alors de ceux qui devraient partir : le vieux professeur, qui connaissait cinquante langues ; le Capitaine, sans les enfants, car leur maman avait trop peur. Au dernier moment, Félix se joignit au groupe ainsi que le docteur.

Et comme le docteur ne connaissait pas les maladies africaines, il acheta un gros livre sur ces affections, puis il bourra une mallette de tous les médicaments qui pourraient être nécessaires. Au dernier moment arrivèrent un marin anglais et un voyageur français demandant que Mathias les emmène avec lui.

Ils prirent peu de bagages, car les vêtements chauds leur seraient inutiles, d’autant plus qu’on ne pouvait pas transporter trop de coffres sur les chameaux.

Ils montèrent dans le train et partirent. Ils avancèrent, avancèrent, avancèrent… arrivèrent devant la mer. Ils s’embarquèrent sur un bateau et gagnèrent le large. En mer une grande tempête les surprit, ils furent pris du mal de mer. Pour la première fois le docteur administra ses médicaments.

Il était de très mauvaise humeur à cause de ce voyage.

— Pourquoi suis-je le médecin royal ? se lamentait-il devant le commandant du bateau. Si j’étais un docteur ordinaire, alors je serais assis, actuellement, dans un confortable cabinet ou bien j’irais à l’hôpital. Mais hélas ! Je dois courir le monde. Et vraiment, être mangé, à mon âge, c’est une chose très désagréable.

Par contre, le capitaine devenait de plus en plus gai. Il se rappelait le moment où il s’était enfui de la maison de ses parents et s’était engagé dans la Légion étrangère pour combattre avec les Noirs. Il était alors un jeune et joyeux garçon.

Félix était le plus réjoui de tous.

— Quand tu es parti chez les « rois blancs », tu ne m’as pas emmené : tu es parti avec les poupées du capitaine. Mais maintenant qu’il faut aller chez les cannibales, les autres t’abandonnent et c’est Félix qui t’accompagne !

— Mon Félix, expliquait Mathias honteux, tu n’étais pas invité et, chez les rois, le protocole ne me permettait d’amener que leurs invités. Cette fois-ci, Stani et Hélène voulaient encore partir avec moi, seulement leur maman ne l’a pas permis.

— Va, je ne suis pas fâché, conclut Félix.

Ils entrèrent dans le port, descendirent du bateau et voyagèrent pendant deux jours encore dans le train. Il y avait déjà des palmes, différentes sortes de palmiers, des dattiers, des bananiers, des figuiers. Mathias poussait tout le temps des cris d’admiration. Le prince noir qui les accompagnait souriait de toutes ses dents blanches : elles brillaient de telle façon que la peur vous saisissait.

— Ce n’est pas encore la forêt africaine : après vous verrez ce qu’est une vraie « forêt vierge ».

Mais au lieu de forêt, ils aperçurent le désert.

Rien que du sable et du sable… Autant de sable que l’immensité de l’eau dans la mer !

Dans le dernier village il y avait encore un petit détachement de soldats blancs et quelques boutiques tenues par des Blancs. Ils leur dirent qu’ils étaient des voyageurs et qu’ils se rendaient au pays des mangeurs d’hommes.

— Eh bien puisque vous en avez envie ! Allez-y ! Il y en a beaucoup qui s’y sont aventurés, mais nous n’avons pas le souvenir qu’il en soit revenu un seul !

— Peut-être que cela nous réussira, dit Mathias.

— Essayez, mais ne m’en veuillez pas plus tard de ne pas vous avoir prévenus. Ce sont de vrais sauvages, ces gens chez qui vous vous rendez.

Le prince noir qui les accompagnait acheta alors trois chameaux et s’en alla pour préparer tout pour leur réception. Il les laissa dans le village en les priant d’attendre son retour.

— Écoutez-moi, dit l’officier de la garnison des Blancs. Vous ne me tromperez pas, car je suis rusé. Vous n’êtes certainement pas des voyageurs ordinaires. Il y a avec vous deux jeunes garçons et un vieillard. Et ce sauvage arrivé en même temps que vous doit être un personnage important. Il a dans son nez un coquillage extraordinaire qu’il est seulement permis de porter quand on appartient à une famille royale !

Voyant qu’il n’y avait pas de raison de lui cacher quoi que ce soit, ils lui racontèrent toute leur histoire.

Cet officier avait déjà entendu parler de Mathias, car le courrier arrivait de temps en temps et apportait des journaux.

— Ah ! Alors, c’est autre chose. Dans ce cas, peut être allez-vous réussir votre expédition. Je peux vous dire qu’ils sont très hospitaliers et je prévois deux solutions : ou bien vous ne reviendrez jamais plus, ou peut-être au contraire recevrez-vous de nombreux cadeaux, car ils ont tant d’or et de diamants qu’ils ne savent eux-mêmes qu’en faire, et pour n’importe quelle bagatelle, un peu de poudre, une petite glace, une pipe, ils donnent quelques poignées d’or.

L’humeur des voyageurs s’améliora. Le vieux professeur resta couché toute la journée sur le sable, au soleil ; le docteur avait dit que c’était très sain… pour les pieds, et il avait mal aux pieds ! Le soir, il se rendait aux huttes des Noirs et là, il conversait et inscrivait des mots nouveaux inconnus jusqu’alors.

Félix s’était tellement empiffré de fruits que le docteur fut obligé de tirer de sa pharmacie une cuillerée d’huile de ricin pour la lui faire boire.

L’Anglais et le Français prenaient de temps à autre Mathias pour aller à la chasse. Mathias apprit ainsi à monter à dos de chameau. Tout cela était très agréable.

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « Président des Ministres »

 

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15/05/2004 - Revu le : 24/07/04