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(22) Le roi Mathias Ier

 

 

Mathias revint dans sa capitale juste à temps : tout était prêt pour recevoir l’argent des rois étrangers. Il fallait seulement la signature du roi fixant quand et comment il rembourserait cet emprunt.

Le roi Mathias signa et aussitôt le trésorier d’État partit avec des sacs et des caisses pour recevoir l’argent et l’or de l’étranger.

Mathias attendait l’argent avec impatience, car il voulait mettre en application ses trois réformes :

Il voulait :

  1. Que l’on construisit dans toutes les forêts, sur les montagnes et au bord de la mer beaucoup de maisons pour que les enfants pauvres puissent y passer l’été.
  2. Il désirait que des balançoires et des manèges avec musique soient installés dans toutes les écoles.
  3. Enfin, qu’on créât dans sa capitale un grand parc zoologique où il y aurait dans des cages des animaux sauvages, lions, ours, éléphants, singes, serpents et oiseaux.

Mais Mathias fut profondément déçu.

Lorsque l’argent arriva, il apparut que les ministres ne pouvaient rien lui donner pour ses réformes, car d’avance tout était employé. On savait ce que chaque ministre prendrait pour son budget particulier.

On avait besoin de tant pour les nouveaux ponts, de tant pour les chemins de fer, de tant pour la construction de nouvelles écoles, de tant pour payer les dettes de guerre.

— Si Votre Majesté nous avait prévenus plus tôt nous aurions emprunté un peu plus, disaient les ministres.

Mais ils pensaient que l’absence de Mathias aux conférences avait été très heureuse. Car il aurait fallu tant d’argent pour ses réformes que jamais les rois étrangers n’auraient consenti à prêter de pareilles sommes.

— Eh bien ! Puisque vous m’avez ainsi trompé, je sais maintenant ce qui me reste à faire.

Il se ressaisit et il écrivit au roi qui jouait du violon.

— Je veux réaliser les mêmes réformes que Votre Majesté Royale a faites chez Elle. Mais il me faut beaucoup d’argent. Les ministres ont emprunté pour eux. Maintenant je veux emprunter pour moi.

Mathias attendit longtemps la réponse ; il pensait même qu’il ne la recevrait jamais, quand un jour, pendant la leçon, on lui annonça qu’un ambassadeur du roi demandait audience. Aussitôt, Mathias devina ; et vite, il se rendit à la salle du trône.

L’ambassadeur désira que tout le monde sortît, car il était porteur d’un secret qu’il ne pouvait dire qu’au roi. Lorsque tous furent sortis, l’ambassadeur lui annonça qu’on pourrait lui prêter de l’argent, mais qu’il devrait donner à son peuple une constitution, afin que la nation entière pût prendre part au gouvernement.

— Si nous prêtons seulement à Mathias, nous risquerons de perdre, mais si nous prêtons à toute la nation, alors ce sera autre chose ; seulement, ajouta l’ambassadeur, les ministres n’accepteront certainement pas ?

— Ils seront obligés d’accepter, répondit Mathias. Que s’imaginent-ils ? Ils étaient d’accord pour que je sois le Roi-Réformateur, eh bien cela suffit !

Avec une facilité inespérée, les ministres acceptèrent. Ils avaient terriblement peur que Mathias ne les mît encore en prison. Et entre eux, ils tenaient le raisonnement suivant :

— Lorsqu’il faudra prendre une décision, nous dirons que c’est le désir de la nation entière et que nous n’y pouvons rien. Nous serons obligés de faire seulement la volonté de la nation. Mathias ne pourra pas mettre en prison toute la population.

Les délibérations commencèrent. De toutes les villes et des campagnes arrivèrent dans la capitale des hommes plus sages. Ils siégeaient, discutaient et parlaient pendant des jours entiers, des nuits entières.

— Il faut que toute la nation nous suggère ce qu’elle veut que nous fassions, finirent-ils par dire, car c’est trop difficile à savoir.

On écrivit de si longs articles sur ce parlement dans les journaux qu’il n’y avait plus de place pour les images. Mathias savait maintenant lire ; les images lui étaient déjà moins nécessaires.

Les banquiers se réunirent en Conseil de leur côté, calculant combien il leur faudrait d’argent pour construire à la campagne des maisons d’enfants, pour les fameux manèges et balançoires. Beaucoup de commerçants arrivèrent de tous les coins du monde pour convenir des fauves, des oiseaux et des serpents qui seraient nécessaires dans le parc zoologique. Leurs délibérations étaient des plus intéressantes. Mathias fut toujours présent à ces négociations.

— Je peux vendre quatre beaux lions, disait l’un.

— Je possède les tigres les plus sauvages, annonçait le second.

— J’ai de jolis perroquets, proposait un troisième.

— Les plus étonnants sont mes serpents, affirmait le quatrième.

— J’ai les plus dangereux serpents et des crocodiles féroces. Mes crocodiles sont grands et vivent longtemps.

— J’ai un éléphant dressé. Il a joué au cirque quand il était jeune. Il allait à bicyclette, dansait et marchait sur une corde. Maintenant, il est un peu vieux, je peux vous le vendre bon marché. Il plaira beaucoup aux enfants qui pourront grimper sur son dos pour se promener ; car les enfants aiment beaucoup la promenade à dos d’éléphant.

— Je vous prie de ne pas oublier les ours ! disait le spécialiste des ours. Je peux en vendre quatre ordinaires ainsi que deux ours blancs.

Ces marchands d’animaux sauvages étaient tous de vaillants chasseurs ; parmi eux, il y avait un authentique Indien et deux Noirs. Les enfants de toute la capitale les observaient attentivement ; ils se réjouissaient que le roi achetât pour eux tant d’intéressants animaux.

Un jour arriva à la conférence des marchands un homme noir comme l’ébène. Jamais on n’en avait vu un pareil. Les autres Noirs étaient habillés comme tout le monde et parlaient les langues européennes. Ils habitaient tantôt en Afrique, tantôt en Europe. Mais celui-ci ne disait pas un mot qu’on pût comprendre. Des coquillages lui servaient d’habillement, il était presque nu, et dans ses cheveux il y avait différents ornements en os et si nombreux qu’il était difficile de croire qu’il pût supporter sur sa tête un poids pareil !

Dans le royaume de Mathias il y avait un très vieux professeur qui connaissait cinquante langues différentes. On l’envoya chercher pour qu’il traduisît ce que désirait ce Noir à la peau si foncée. Les autres Noirs, moins étranges, ne pouvaient le comprendre. Peut-être aussi qu’ils ne voulaient pas traduire ses paroles pour ne pas gâter leurs propres affaires.

Le prince noir (car c’était un authentique prince) dit :

— Roi Mathias, tu es grand comme l’arbre baobab, immense comme la mer, rapide comme le tonnerre et brillant comme le soleil. Je t’apporte l’amitié de mon souverain (qu’il vive jusqu’à sept mille ans et qu’il ait cent mille arrière-petits-enfants !).
« Mon souverain a dans ses forêts plus d’animaux qu’il n’y a d’étoiles dans le ciel et de fourmis dans une fourmilière. Nos lions dévorent en une journée plus d’humains que toute la cour royale en un mois. Cette cour se compose du roi, de ses deux cents épouses et de mille enfants (qu’ils vivent tous cinq mille ans moins une année !). Merveilleux roi Mathias, ne crois pas ces filous qui vendent des lions sans crocs, des tigres sans griffes, des éléphants âgés et des oiseaux teints ! Mes singes sont plus sages qu’eux et l’amour de mon roi pour Mathias est supérieur à leur bêtise. Ceux-là exigent de toi de l’argent (mon roi n’a pas besoin d’or, car dans ses montagnes il y en a assez). Il veut seulement que tu lui permettes de venir chez toi, en invité, pour deux semaines, car il désire visiter vos pays et les rois blancs ne veulent pas le recevoir. Ils prétendent qu’il est un sauvage et qu’il ne convient pas de se lier d’amitié avec lui. Si tu te rendais chez lui, Mathias, en visiteur, tu serais convaincu que tout ce que je te dis est la pure vérité ».

Les marchands d’animaux sauvages se rendaient compte que cela tournait mal, alors ils se mirent à dire :

— Votre Majesté sait-elle que c’est un émissaire du pays des cannibales, et nous ne conseillons pas à Votre Majesté de se rendre chez eux, ni de les faire venir ici. Mathias pria le professeur de demander si vraiment ce roi était un mangeur d’hommes.

— Oh ! Roi Mathias, toi qui es éclatant comme le soleil. Je disais que dans nos forêts les lions dévorent plus d’hommes en une journée que la cour royale entière en un mois. Je n’ai qu’une chose à te dire, Oh ! Roi Mathias, toi qui es blanc comme le sable. Jamais mon roi ne te mangerait, et pas plus toi que l’un de tes sujets. Mon roi est hospitalier et il préférerait manger ses deux cents épouses et ses mille enfants (qu’ils vivent cinq mille ans moins une année !) que d’avaler même un seul doigt de ta main.

— Alors bien ! Je pars, dit Mathias.

Les marchands d’animaux sauvages s’en allèrent immédiatement, furieux de n’avoir pas réalisé une bonne affaire.

 

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15/05/2004 - Revu le : 18/05/04