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(19) Le roi Mathias Ier

 

 

Mathias fut invité à[T1] se rendre en visite chez les Rois étrangers. Ils écrivirent avec beaucoup d’empressement qu’ils invitaient le roi Mathias, le capitaine, le docteur, Stanislas et Hélène.

« Le Roi Mathias peut être sûr qu’il ne regrettera pas, écrivaient-ils. Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour qu’il s’amuse bien et qu’il obtienne tout ce qu’il désirera. »

Mathias en fut très réjoui. Il ne connaissait, par la guerre, qu’une seule ville étrangère, et maintenant, il allait faire la connaissance de trois capitales, de trois palais étrangers et des jardins royaux. Il était très curieux de savoir si là-bas c’était autrement que dans son état.

— Dans l’une des capitales, paraît-il, on peut visiter un merveilleux jardin zoologique où se trouvent des animaux du monde entier. Dans une seconde, il y a une maison si haute que, d’après Félix, elle toucherait presque le ciel.
« Dans la troisième existaient des magasins avec des vitrines si jolies qu’on pouvait les regarder durant une année tout entière sans se lasser. »

Les ministres furent très mécontents de n’être pas invités, mais ils n’y pouvaient rien. Le ministre des Finances conjurait Mathias de ne pas prendre l’argent, de ne rien signer, car on chercherait à le tromper.

— Que Monsieur n’ait aucune crainte, répondit Mathias, lorsque j’étais plus jeune je ne me suis pas laissé duper par eux, maintenant je ne me ferai pas berner non plus.

— Majesté Royale, ils vont feindre d’être vos amis parce que la guerre est passée, mais ils s’efforceront toujours, croyez-le, de tirer l’avantage de leur côté.

— Comme si je ne le savais pas ! dit Mathias.

Mais dans son « for » intérieur, il fut content qu’on le prévienne et il décida de ne signer, tout seul, aucun document.

Étrange ! Pourquoi n’avaient-ils invité aucun des ministres ?

— Je vais me tenir sur mes gardes, ajouta Mathias.

Tout le monde fut jaloux de Mathias, il allait se rendre si loin !

On emballa les affaires dans des coffres. Les tailleurs apportèrent de nouveaux costumes, les cordonniers de nouvelles chaussures. Le maître des cérémonies courait à travers tout le palais, afin de ne rien oublier. Hélène et Stani sautaient de joie.

Enfin, deux automobiles arrivèrent : dans la première montèrent le roi Mathias et le capitaine ; le docteur, Hélène et Stani prirent place dans la seconde.

Ils traversèrent la ville au milieu des acclamations.

À la gare, le train royal et tous les ministres les attendaient.

Mathias avait déjà voyagé dans le train royal, une fois en revenant de la guerre, mais il était alors si fatigué qu’il ne pouvait contempler le paysage et voir tout. Maintenant, c’était différent : il voyageait pour son plaisir, il pouvait ne penser à rien. Il avait bien droit au repos, après une guerre si lourde, et après un tel travail.

Avec humour et souriant, il raconta comment il se cachait sous ses couvertures devant le lieutenant, devenu maintenant son professeur.

Il parla de la soupe, des puces qui l’avaient piqué ; de la rencontre avec le ministre de la Guerre lorsque, du haut de l’échelle, au-dessus de l’étable, il regardait passer le train dans lequel il se trouvait actuellement.

— Et, disait-il, ici nous sommes restés arrêtés une journée entière. De cette station, on nous a fait reculer, remarquait-il plus loin.

Le train royal se composait de six wagons. Le premier était le wagon-lit. Chacun y avait sa chambre avec lit, lavabo, table, chaise.

Le second wagon comprenait la salle à manger, au milieu se trouvait la table, autour les chaises et par terre un joli tapis : partout des fleurs.

Le troisième wagon était la bibliothèque, mais à présent, outre les livres, s’y trouvaient aussi les plus beaux jouets du roi. Le quatrième était occupé par la cuisine. Dans le cinquième wagon voyageaient les serviteurs du palais, le cuisinier et les laquais, et dans le sixième se trouvaient de nombreux coffres remplis d’objets et les bagages.

Tantôt les enfants regardaient à travers la vitre, tantôt ils jouaient. On s’arrêtait aux stations importantes, quand il fallait prendre de l’eau pour la locomotive. Les wagons roulaient si doucement qu’il n’y avait ni bruit ni trépidations.

 

Le soir, ils se couchèrent encore dans leur pays, et ils se réveillèrent le matin à l’étranger.

Aussitôt que Mathias se fut lavé et habillé, le délégué du roi étranger apparut porteur des souhaits de bienvenue. Il était monté dans le train pendant la nuit, et ne voulant pas inquiéter le roi Mathias, il avait veillé depuis la frontière, car Mathias était maintenant sous sa sauvegarde.

— Quand vais-je me trouver dans la capitale de votre roi ? demanda Mathias.

— Dans deux heures.

Mathias éprouva un grand plaisir en entendant l’envoyé royal lui parler dans sa propre langue. Mathias comprenait et parlait déjà plusieurs langues étrangères, mais il est toujours plus agréable de converser dans sa langue maternelle.

Il est difficile de raconter la réception étonnante qui fut réservée au jeune roi… Il entra dans la capitale de ce pays, non pas en vainqueur de la ville, de ses forteresses et de ses murailles, mais comme un conquérant des cœurs de la population entière.

Le vieux roi grisonnant l’attendait à la gare avec ses enfants et petits enfants. À la gare, il y avait une telle abondance de verdure et de fleurs qu’on se serait cru dans un merveilleux jardin et non dans une station de chemin de fer.

Une inscription avait été tressée avec des fleurs et des branches :

« Jeune ami, chaleureusement attendu, sois le Bienvenu. »

Quatre longs discours de bienvenue furent prononcés, dans lesquels on appela Mathias le « bon, sage et héroïque roi ». On prédisait qu’il régnerait longtemps, plus longtemps que n’importe lequel des autres rois.

On lui offrit du pain et du sel sur un plateau d’argent.

La plus haute distinction, « l’Ordre du Lion », fut épinglée sur sa poitrine avec un énorme diamant… Le vieux roi l’embrassa de tout son cœur, si bien que Mathias se rappela ses parents qu’il n’avait plus ; et des larmes lui montèrent aux yeux.

Orchestres, étendards, arcs de triomphe jalonnaient le parcours et sur les balcons étaient des tapis et des drapeaux.

On le porta sur les bras depuis l’auto. Il y avait tant de gens dans les rues, que les représentants du monde entier semblaient s’être donnés rendez-vous. Tous les enfants étaient dans la rue, ils avaient droit à trois jours de congé.

Même dans sa propre capitale, Mathias n’avait jamais été ovationné de telle manière.

 

Lorsqu’ils arrivèrent au palais, une masse de gens se rassembla sur la place et refusa de se disperser, tant que Mathias n’aurait pas fait une apparition sur le balcon.

— Qu’il nous dise quelque chose, criaient-ils. Déjà la nuit commençait à tomber quand Mathias se montra enfin au balcon royal.

— Je suis votre ami ! dit Mathias.

Les canons tonnèrent en son honneur. Un feu d’artifice fut tiré, des feux de Bengale furent allumés et du haut du ciel les fusées laissaient tomber des étoiles rouges, bleues, vertes. C’était merveilleux !

Les bals s’animaient et les théâtres jouaient. Le jour suivant, il fit une excursion en dehors de la ville, au cours de laquelle il put admirer de belles et hautes montagnes et des châteaux dans les vieilles forêts. Ensuite, une chasse fut organisée suivie d’une revue militaire ; puis à nouveau souper de gala et théâtre.

Les petits-fils et les petites-filles du vieux roi voulaient donner à Mathias tous leurs jouets. Il reçut deux merveilleux chevaux, un petit canon en argent massif, un projecteur de films du modèle le plus récent avec des pellicules.

Enfin, arriva le plus beau… Toute la cour se rendit en automobile au bord de la mer où se déroula un simulacre de bataille navale. Pour la première fois de sa vie, Mathias navigua sur le bateau amiral qui fut baptisé du nom de Mathias.

Ainsi, durant dix jours, il fut fêté. Mathias, qui bien volontiers serait resté plus longtemps, était obligé de se rendre chez le deuxième roi.

C’était justement le roi qu’il avait libéré de la captivité. Ce roi était moins riche que le précédent. Il reçut Mathias modestement, mais encore plus cordialement.

Il avait beaucoup d’amis parmi les rois et il les invita en même temps que Mathias. Alors, on assista à des réceptions très intéressantes où se trouvaient des Noirs, des Chinois et des Australiens.

Les Jaunes portaient des tresses ; les Noirs avaient dans le nez et les oreilles des ornements de coquillage et d’ivoire. Mathias se lia d’une grande amitié avec ces rois et de l’un il reçut quatre jolis perroquets qui parlaient comme les hommes. Un autre lui donna un crocodile et un serpent boa dans une volumineuse cage en verre ; un troisième lui offrit deux très amusants singes dressés qui connaissaient des tours tellement drôles que Mathias éclatait de rire chaque fois qu’il les regardait.

C’est dans cette ville que Mathias vit le plus grand jardin zoologique du monde. Il y avait des oiseaux, des pingouins qui ressemblent à des hommes ; des ours blancs, des bisons, de grands éléphants des Indes, des lions, des tigres, des loups, des renards et jusqu’aux plus petits animaux de la terre et de la mer.

Que de poissons de toutes sortes ! Que d’oiseaux multicolores ! Et que de singes qui, à eux seuls, représentaient au moins cinquante espèces !

— Tout cela, ce sont des cadeaux de mes amis africains, disait le roi.

Et Mathias prit la décision de les inviter à venir dans sa capitale, pour y posséder un tel jardin. Il pensait en effet que si les animaux lui plaisaient autant, tous les enfants aimeraient aussi les regarder.

— Eh oui ! Il faut partir. Quel dommage ! Mais que va donc me montrer le troisième roi ? Dans sa capitale, il y a, dit-on, un immense édifice, dont Félix m’a signalé l’existence.

 

 

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Commentaires sur la traduction

[T1] En remplacement de : « prié de  »

 

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15/05/2004 - Revu le : 18/05/04