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(18) Le roi Mathias Ier

 

 

À peine sortis de prison les ministres se rendirent tout de suite dans une pâtisserie pour consommer un café-crème et des gâteaux à la crème. Bien qu’ils eussent recouvré la liberté, ils n’étaient point gais. Ils se rendaient compte que tout ne serait pas facile avec Mathias.

Et avant tout, il faudrait emprunter de l’argent.

— Ne pourrait-on pas imprimer de nouveaux billets de banque ?

— On ne peut pas actuellement, car nous en avons imprimé beaucoup trop pendant la guerre. Il faut attendre un peu.

— Bah ! Attendre, attendre… Quand dès maintenant nous avons des tas de choses à payer !

— Je dis, moi, que nous devons emprunter auprès des rois étrangers.

Puis, chacun des ministres, après avoir mangé quatre gâteaux et bu un café-crème, s’en fut à la maison.

Le lendemain, le président des ministres se rendit chez le roi en audience, il lui dit qu’il fallait emprunter beaucoup d’argent aux rois plus riches. C’était, affirmait-il, une entreprise très difficile. Il faudrait écrire très adroitement une lettre aux rois étrangers ; pour cela, deux Conseils par jour seraient indispensables.

— Bien, répondit Mathias, vous délibérerez, mais moi, à partir d’aujourd’hui, je commence à prendre des leçons avec mon capitaine.

Le ministre de la Guerre arriva avec le capitaine. Mathias lui souhaita un cordial bonjour et il demanda s’il n’était pas possible de le nommer « Commandant » ; cela ne se pouvait pas, car le capitaine était encore « Lieutenant » peu de temps avant. Il était trop jeune.

— Vous, Monsieur, vous allez m’enseigner tout, dit-il au capitaine, et le précepteur d’au-delà des frontières m’apprendra seulement les langues étrangères.

Mathias se mit à étudier avec tant d’ardeur qu’il en arriva même à oublier les jeux.

Comme le capitaine demeurait loin, Mathias proposa qu’il habitât au palais avec toute sa famille. Le capitaine avait un fils nommé Stanislas et une fille appelée Hélène. Ils travaillèrent ensemble et s’amusèrent aussi un peu. Félix venait aux leçons, mais il manquait souvent car il n’aimait pas beaucoup étudier.

Maintenant Mathias allait très rarement aux Conseils.

— Perte de temps, disait-il, je m’ennuie et je n’y comprends pas grand-chose.

Les enfants se rendaient avec joie au jardin royal. Le père de Félix qui, avant son engagement à l’armée, était charpentier, leur avait construit une balançoire ; alors pour se distraire, ils se balançaient, jouaient au chat et à la souris, au ballon, aux sapeurs-pompiers, ramaient sur l’étang royal et péchaient des poissons dans le vivier. Le jardinier royal se fâchait un peu de cet état de choses et allait porter plainte à l’Administration du palais. Déjà, on avait cassé par mégarde quelques vitres, mais personne ne pouvait rien dire, car Mathias était maintenant le « Roi Réformateur » et il établissait seul[T1] ses propres règlements.

Un fumiste fut engagé à l’automne pour installer un poêle dans la salle du trône, car Mathias déclara qu’il n’avait pas l’intention de geler pendant les audiences. Quand il pleuvait, les enfants jouaient dans les appartements. Les laquais étaient un peu mécontents que les gosses salissent le palais, il fallait ensuite ranger et frotter les parquets.

Mais, par contre, on regardait moins maintenant s’ils avaient tous des boutons bien boutonnés, alors ils disposaient d’un peu plus de temps. Du reste, autrefois ils s’ennuyaient quand au palais régnait un silence mortel. À présent, grâce aux jeux, les rires et les cris fusaient dans les salles. Souvent, le gai capitaine et, de temps à autre, le vieux docteur participaient aux divertissements et les animaient ; ils dansaient avec les enfants ou sautaient à la corde[T2]. Cela était très comique.

Après la balançoire, le père de Félix confectionna une voiture ; comme elle n’avait que trois roues, elle se retournait souvent. Cela ne faisait rien, au contraire, c’était plus amusant.

La distribution du chocolat aux enfants de la capitale se passa de la façon suivante : les enfants de toutes les écoles furent alignés dans les rues sur deux rangs. De grands camions roulèrent et des soldats distribuèrent le chocolat. Lorsqu’ils eurent fini, Mathias passa dans toutes les rues. Les enfants croquaient le chocolat, riaient et criaient :

— Vive le roi Mathias.

Mathias, à chaque fois, se levait, envoyait des baisers avec la main. Il agitait son chapeau, son mouchoir, et à dessein allait et venait, souriant, remuant les mains et la tête pour qu’ils ne pensent pas que de nouveau on les trompait en promenant une poupée de porcelaine.

Mais d’ailleurs, pourquoi ? Tous savaient avec certitude que c’était bien le roi, le vrai Mathias.

En plus des enfants, on voyait dans les rues leurs pères et mères.

Ils se réjouissaient eux aussi, car les enfants apprenaient mieux ; ils savaient que le roi les aimait et pensait à eux.

Le ministre de l’Éducation nationale ajouta à cette cérémonie une surprise personnelle pour les élèves calmes et studieux, ils seraient invités le soir au théâtre.

Le soir venu, Mathias, le capitaine, Félix, Hélène et Stanislas occupèrent la loge royale, et le théâtre entier fut rempli d’enfants.

Quand Mathias entra dans la loge, l’orchestre joua l’hymne national. Tous se levèrent et Mathias pendant tout ce temps, se tenait au garde à vous, ainsi que l’ordonne l’étiquette. Les enfants purent voir leur roi pendant toute la soirée.

Ils étaient un peu déçus parce que, malgré son uniforme militaire, il n’avait pas sa couronne.

Les ministres n’étaient pas au spectacle, car ils terminaient à ce moment un document relatif à l’emprunt étranger, ils n’avaient pas le temps. Seul, le ministre de l’Éducation Nationale vint pour quelques minutes et dit :

— Cela, au moins, je le comprends, on récompense ceux qui l’ont mérité.

Mathias le remercia gentiment, et le jour s’acheva très agréablement.

Le jour suivant, Mathias avait à remplir de lourdes obligations. Tous les ministres, ainsi que les délégués des états étrangers, arrivèrent et l’on devait remettre solennellement le document concernant l’emprunt à l’étranger.

Mathias devait rester assis calmement et écouter le détail de ce qu’ils avaient écrit durant trois mois entiers. Cela fut d’autant plus difficile pour Mathias qu’il avait déjà perdu l’habitude des réunions et que cela se passait le lendemain d’un jour si agréablement occupé !

Le dossier se composait de quatre parties.

Dans la première, les ministres faisaient remarquer combien de fois les grands aïeux de Mathias avaient aidé les autres États, et leur avaient prêté aussi de l’argent lorsque les autres en manquaient. C’était la partie historique de l’acte sur l’emprunt. Ensuite, venait un long chapitre géographique : on énumérait combien de terres appartenaient à Mathias, combien de villes il possédait, combien de forêts, combien de mines de charbon, de sel, de pétrole, combien d’habitants vivaient dans son royaume, combien il y avait d’usines, combien d’hectolitres de blé, de tonnes de pommes de terre et de betteraves à sucre poussaient annuellement dans l’état de Mathias. Cela composait l’inventaire géographique.

La troisième partie des actes était économique. Dans ces pages, les ministres vantaient le pays de Mathias : il était riche, il y circulait beaucoup d’argent, chaque année de nombreux impôts alimentaient le trésor. Il pourrait certainement rembourser l’emprunt. Donc qu’ils n’aient aucune crainte à ce sujet.

Si Mathias voulait emprunter, c’était seulement pour pouvoir encore mieux administrer et pour avoir encore plus d’argent devant lui. Dans cette quatrième partie, on notait quels seraient les nouveaux chemins de fer et les nouvelles villes dans l’état de Mathias. Combien de nouvelles maisons et de nouvelles usines devaient être construites.

La lecture aurait été intéressante, mais il y avait une telle quantité de chiffres !

« Millions et dizaines de millions ! »

Les députés regardaient de plus en plus souvent l’heure à leur montre et Mathias commençait à bâiller.

Lorsque le document fut enfin lu, les émissaires annoncèrent :

— Nous transmettrons cet écrit à nos gouvernements. Nos rois veulent maintenant vivre en parfaite amitié avec Mathias et seront certainement d’accord pour lui prêter de l’argent.

Ensuite, ils donnèrent à Mathias une plume en or sertie de pierres précieuses et Mathias ajouta cette phrase par écrit :

 

« J’ai battu vos Majestés Royales et je n’ai pris aucun tribut. Maintenant je demande que vous me prêtiez de l’argent.
Alors, ne soyez pas mufles et prêtez.

« Roi Mathias Premier “Réformateur”. »

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « et seul établissait ses »

[T2]En remplacement de : « saluaient à la corde »

 

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13/05/2004 - Revu le : 7/06/04