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(20) Le roi Mathias Ier
[Le r�cit du roi triste]

 

 

Chez le troisième roi, Mathias fut reçu très modestement bien qu’aussi cordialement. Il en fut étonné et cela lui parut un peu désagréable.

Il est avare, ou alors qu’y a-t-il ? pensait Mathias.

Le palais ne ressemblait pas beaucoup à un château royal, il ne différait presque pas des plus belles demeures de la ville.

Un des laquais avait même les gants légèrement sales, la nappe avait un petit trou qui, à vrai dire, était adroitement raccommodé avec du fil de soie.

Mais l’étonnement de Mathias fut à son comble lorsque le roi l’emmena voir son trésor. Il y avait tant d’or, d’argent et de pierres précieuses que Mathias ferma les yeux.

— Votre Majesté Royale est très riche !

— Eh non ! répondit le roi. Si je voulais distribuer tout cela entre tous les citoyens de mon royaume, il reviendrait à peine à chacun une petite pièce.

Il avait dit cela avec tant de délicatesse que le cœur de Mathias palpita.

Ce roi était le plus jeune des trois, mais comme il semblait triste !

Le soir, ils n’allèrent pas au théâtre, le roi joua du violon ; il joua avec tant de tristesse qu’on ne pouvait s’empêcher de soupirer.

Comme ces rois sont différents, pensa Mathias.

— Il paraît, dit Mathias, que Votre Majesté Royale possède une immense maison qui doit être très, très haute.

— Oui ! Je ne l’ai pas montrée à Votre Majesté Royale. C’est l’édifice du Parlement. Puisque votre état n’est pas une démocratie, j’ai jugé que cela n’avait aucun intérêt pour vous.

— Et moi, je voudrais absolument voir ce… ce… Parlement.

Mathias ne comprenait pas de quoi parlait le roi.

C’est étrange, pensait-il, on m’a appris tout ce que faisaient les rois d’autrefois, il y a cent, deux cents et mille ans, mais on n’apprend pas ce que font les rois actuels et comment ils vivent. Si je les avais mieux connus, peut-être ne serions-nous pas arrivés à nous faire la guerre.

Le roi recommença à jouer du violon ; Mathias, Hélène et Stani écoutaient.

— Pourquoi Votre Majesté Royale joue-t-elle si tristement ?

— C’est que la vie n’est pas gaie, mon ami ! Et certainement, la vie d’un roi est la plus triste de toutes !

— La vie d’un roi ? s’étonna Mathias, mais les deux autres sont tellement joyeux !

— Ils sont aussi tristes, cher Mathias ! Seulement en présence des convives ils feignent d’être gais, car telles sont nos obligations : ainsi le veut l’étiquette. Comment peuvent être joyeux des rois qui viennent de perdre une guerre ?

— C’est pour cela que Votre Majesté Royale se désole ?

— Moi ? Pas le moins du monde, de nous trois, je suis même le plus satisfait.

— Comment satisfait ? s’étonna Mathias.

— Oui ! Car je n’ai pas voulu cette guerre.

— Pourquoi alors l’avez-vous faite ?

— J’y étais obligé, je ne pouvais faire autrement.

Quel roi étrange, pensait Mathias. Il ne veut pas faire la guerre, mais il la déclare et se réjouit de l’avoir perdue. Quel étrange roi !

— Une guerre victorieuse, c’est un grand danger, disait le roi, semblant se parler à lui-même.

— Dans ce cas, le plus facile serait d’oublier pourquoi on est roi !

— Et dans quel but est-on roi ? demanda naïvement Mathias.

— Pas pour porter la couronne, bien sûr, mais pour rendre heureux les habitants de son état.

— Mais comment faire leur bonheur ?

— En introduisant différentes réformes !

Oh ! Voilà qui est intéressant, pensa Mathias.

— Les réformes, c’est la chose la plus difficile du monde. Oui, la plus difficile.

Et cette fois, le violon joua si tristement qu’on aurait dit qu’il pleurait, comme si un malheur était arrivé.

Tard dans la nuit Mathias réfléchissait encore. Il se tournait d’un côté et de l’autre sans pouvoir dormir. Le chant triste du violon retentissait toujours dans ses oreilles.

— Je lui demanderai… Il me conseillera. Il doit être un homme bon. Je suis le « Roi Réformateur » et je ne sais pas ce que cela signifie : des réformes. Il dit que c’est tellement difficile.

Et, de nouveau, il pensait :

Peut-être ment-il ? Peut-être se sont-ils entendus entre eux pour que, justement, ce troisième roi me donne un acte quelconque à signer.

Parfois, Mathias s’étonnait. Pourquoi ne lui parlaient-ils point de l’emprunt, ni d’aucun autre problème ? Pourtant, en général, les rois se réunissent pour parler de la politique et de différentes affaires importantes. Avec eux, rien de pareil. Ils ne veulent peut-être pas discuter avec moi parce que je suis petit, pensait-il. Mais pourquoi ce troisième roi me parle-t-il comme à un adulte ?

Mathias s’était pris d’affection pour ce « roi triste », mais il n’avait pas totalement confiance en lui. Les rois apprennent de bonne heure à être méfiants.

Voulant s’endormir plus vite, Mathias commençait à chantonner à mi-voix une chanson triste, lorsqu’il entendit soudain des pas dans la pièce voisine.

On veut peut-être m’assassiner ? Cette idée passa comme un éclair dans sa tête. Il avait entendu raconter qu’on attirait parfois les rois dans un guet-apens, afin de les faire disparaître en secret. Il n’y aurait peut-être pas pensé sans ces longues réflexions, et puis le chant lugubre du violon l’avait par trop exaspéré.

Mathias appuya rapidement sur le bouton de la lampe électrique puis il plongea la main sous son oreiller où il y avait un revolver.

— Tu ne dors pas encore Mathias ?

C’était le roi.

— Je ne peux pas m’endormir.

— Les idées noires chassent donc le sommeil des paupières du petit roi, murmura le roi avec un sourire, en s’asseyant près du lit.

Et… Il ne dit plus rien, mais il le regardait seulement. Mathias se souvint que son père le regardait souvent ainsi. En ce temps-là, Mathias n’aimait pas que son père l’observât de cette façon. Mais maintenant cela lui semblait agréable.

— Oui, oui Mathias, tu as paru très étonné quand je t’ai dit que je ne voulais pas te déclarer la guerre. Pourtant, contre mon gré, je me suis battu contre ton pays. Tu crois donc encore que les rois peuvent faire ce qu’ils veulent ?

— Je ne le pense pas, je sais que l’étiquette vous oblige à faire beaucoup de choses et surtout la loi.

— Ah ! Tu sais déjà tout ça. Oui, nous faisons nous-mêmes de mauvaises lois et ensuite nous sommes obligés de les appliquer.

— On ne peut pas faire seulement de bonnes lois ?

— On le peut, il le faut. Tu es encore jeune Mathias. Étudie et crée de bonnes et sages lois.

Et le roi saisit la main de Mathias, la posa dans la sienne comme s’il voulait comparer sa puissance avec la fragilité de Mathias. Ensuite, il caressa très tendrement cette petite main, se pencha et l’embrassa.

Mathias se sentait terriblement impressionné, le roi commença à parler vite et à voix basse.

— Écoute, Mathias, mon grand-père a rendu au peuple la liberté, mais ce ne fut pas un bien. De méchantes personnes l’ont assassiné, et le peuple n'est toujours pas plus heureux. Mon père a érigé un grand monument à la gloire de la liberté. Tu le verras demain ; il est beau, mais quel changement cela a-t-il apporté ? Les guerres continuent de se succéder et il y a toujours des pauvres et des malheureux. Moi-même, j’ai ordonné de construire cet immense édifice du parlement. Et pour quel résultat ? Pour rien. Cela continue toujours de la même façon.

Et brusquement, comme s’il se rappelait quelque chose :

— Sais-tu, Mathias, nous y sommes toujours mal pris en ne pensant qu'à accorder des réformes aux adultes. Essaie avec les enfants, peut-être cela te réussira-t-il ?

Eh bien dors, cher enfant ! Tu es venu pour te divertir et moi je te fatigue la tête pendant la nuit. Bonne nuit.

Lorsque, le lendemain, Mathias désira revenir sur cette conversation, le roi ne voulut plus en entendre parler. Par contre, il lui expliqua avec précision la signification du parlement.

Ce bâtiment formait vraiment un immense et magnifique édifice. À l’intérieur, il ressemblait à la fois à un théâtre et à une église.

Sur l’estrade étaient assis des messieurs devant une table, comme dans le palais de Mathias pendant un Conseil. Seulement, ici, il y avait une quantité de fauteuils sur lesquels étaient assis des hommes très différents ; de cette foule se levèrent des orateurs qui montèrent comme en chaire[1], et parlèrent comme s’ils faisaient un sermon.

Tout autour, il y avait des loges occupées par différents ministres. Sur le côté, près d’une longue table, on voyait ceux qui écrivaient dans les journaux. Et plus haut, se trouvait le public. Précisément, au moment de leur entrée, quelqu’un s’adressait, très en colère, aux ministres.

— Nous ne permettrons pas ! criait-il en frappant avec le poing. Si vous ne nous écoutez pas, vous ne serez plus ministres ! Il nous faut des ministres sages.

Un autre disait que ces ministres étaient très sages et qu’il n’y avait nul besoin d’en changer.

Ensuite, tous se brouillèrent et tous se mirent à crier. Quelqu’un lança : « À bas le gouvernement ! » D’autres : « Ayez donc honte de ce que vous dites ! »

Quand Mathias quitta la salle quelqu’un cria : « À bas le roi ! »

— Pourquoi sont-ils fâchés ? demanda Mathias.

— Parce qu’ils sont mécontents de leur sort.

— Et qu’arrivera-t-il si vraiment ils chassent les ministres ?

— Ils vont en élire d’autres.

— Bien, et celui qui a crié « À bas le roi » ?

— Il crie toujours ainsi.

— Il est fou ?

— Non ! Seulement il ne veut pas de roi.

— Mais peut-on donc chasser le roi ?

— Bien sûr qu’on le peut !

— Mais qu’arrivera-t-il alors ?

— Ils éliront quelqu’un d’autre.

Cette conversation intéressa Mathias presque autant que les deux petits singes du cacique[2] noir Vey Bin !

 

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Notes

[1] Tribune élevée du haut de laquelle un homme d’église adresse à ses fidèles ses instructions et ses enseignements. Désigne aussi le siège d’un pontife (pape) et la tribune d’un professeur des universités et par exentsion son cours.[D’après Le petit Robert]

[2] Personnalité investie d’une fonction importante. Aussi : chef indigène d’Amérique centrale. [op. cit.]

 

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15/05/2004 - Revu le : 7/09/09