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(17) Le roi Mathias Ier

 

 

On avait libéré les ministres de leurs chaînes, puis ils furent conduits dans le réfectoire de la prison ; ils y retrouvèrent les ministres de la Justice et de la Guerre, qui eux, avaient été laissés en liberté.

Les gardes, sabre au clair, prirent (occupèrent leur) place et le Conseil débuta. Mathias, la nuit, avait préparé un plan qu’il exposa ainsi :

— Vous ! Vous vous occuperez des adultes, et moi je serai le roi des enfants. Quand j’aurai douze ans, je gouvernerai tous les enfants n’ayant pas plus de douze ans. Lorsque j’aurai quinze ans, je m’occuperai de ceux n’ayant pas dépassé la quinzième année. Et en tant que roi, moi seul, je peux faire ce qui me plaît.
« Les autres lois, nous les laisserons comme autrefois. Mais moi qui suis petit, je sais parfaitement tout ce qui est nécessaire aux mioches. »

— Nous aussi, nous avons été autrefois des enfants, fit remarquer le premier ministre.

— Quarante-trois ans ! répondit le président du Conseil.

— Et pourquoi alors commandez-vous à ceux qui sont plus âgés que vous ? et Monsieur le ministre des Communications est jeune, et pourtant des gens âgés vont en chemin de fer.

Et les ministres dirent :

— Oui, c’est vrai !

— Alors quelle est votre opinion, Monsieur le Ministre de la Justice ? Peut-on agir comme je le souhaite ?

— En aucune manière, dit le ministre de la Justice. Selon la loi (volume 1349) les enfants appartiennent à leurs parents. Il n’existe qu’une seule possibilité !

— Laquelle ? demandèrent-ils, curieux.

— Le roi Mathias doit prendre le titre de « Roi Mathias Ier le réformateur ». Vous trouverez cela au volume 1764, page 377.

— Que signifie cela ?

— Cela signifie qu’il est le roi, qu’il peut changer les lois. Si le roi nous disait : je veux publier une loi quelconque, eh bien, je répondrais que cela est interdit, car il existe une autre loi équivalente. Mais si le roi dit : je voudrais introduire une réforme, je répondrai : très bien !

Tout le monde tomba d’accord. Mais la question « Félix » restait à résoudre.

— Il ne peut pas être Favori.

— Pourquoi ?

— L’étiquette ne le permet pas.

Le maître des cérémonies n’étant pas à la réunion, les ministres ne pouvaient pas parfaitement expliquer ce qu’est l’étiquette de la cour. Ils ne savaient qu’une seule chose : c’est que les rois peuvent avoir des favoris, mais seulement après leur mort.

Cela ne signifiait pas que le roi Mathias devait mourir (que Dieu le protège), mais le document donné devait être, coûte que coûte, repris à Félix.

— Ce n’est pas un papier conforme à la loi, confirma le ministre de la Justice.

Félix pourra venir chez le roi, il pourra rester son ami intime, mais il ne faut pas que cela soit écrit, et surtout pas sur un papier revêtu du sceau royal.

— Très bien, dit alors Mathias, pour les mettre à l’épreuve. Si je ne vous cède pas, et si je vous laisse en prison ?

— C’est tout à fait autre chose, dit en souriant le ministre de la Justice. Le roi peut tout…

Mathias s’étonna que pour une sottise de cette sorte, un pauvre bout de papier en somme, tous ces gens acceptent de rester en prison.

— Majesté Royale, dit le ministre de la Justice, que le roi ne se fâche pas. La loi prévoit aussi ce cas… un paragraphe se trouve dans le 235e tome. « Le roi peut de son vivant nommer des favoris, mais il ne doit pas alors s’appeler « Réformateur… »

— Mais comment ? demanda Mathias inquiet. Il commença à deviner…
« Très bien, je vois, il doit être un "tyran". »

Mathias se leva, les gardes-chiourmes, inquiets, levèrent les bras au bout desquels ils tenaient leur sabre… un grand silence suivit. Tous pâlirent de peur. Que va dire le roi Mathias ? Des mouches vivant dans la prison cessèrent même de bourdonner.

Puis Mathias parla à haute voix et lentement :

— À partir d’aujourd’hui, je m’appelle le « Roi Mathias le Réformateur ». Messieurs, vous êtes libres.

Le concierge de la prison porta les chaînettes dans une cellule, car elles devenaient inutiles. Les gardiens remirent leur sabre dans les fourreaux et le porte-clés ouvrit la lourde porte de fer. Les ministres joyeux se frottaient les mains.

— Un instant, Messieurs ! Je vais déjà faire quelques réformes. Il faut que demain chaque élève reçoive à l’école une livre de chocolat !

— C’est trop, dit le ministre de la Santé, tout au plus un quart de livre.

— Un quart de livre si vous voulez !

— Dans notre Royaume, nous avons cinq millions d’élèves, dit le ministre de l’Éducation Nationale. Si les voyous et les paresseux ont droit aussi au chocolat…

— Tous, trancha Mathias. Tous sans exception !

— Une telle quantité de chocolat ne peut être fournie par nos usines que dans neuf jours.
« Et le chemin de fer ne peut le répartir sur tout le territoire de l’État qu’en l’espace d’une semaine. »

— Comme peut le constater Votre Majesté, cet ordre ne pourra donc être exécuté au plus tôt que dans trois semaines.

— Alors, tant pis, dit Mathias.

Mais dans son « for intérieur » il pensait : C’est vraiment bien commode d’avoir des collaborateurs expérimentés. Sans eux, je n’aurais pas su combien il fallait de chocolat ; sans eux, je n’aurais pas su qui devait le fabriquer, et j’aurais oublié de le faire distribuer dans tout l’État.

Mais Mathias ne disait pas cela à haute voix. Il feignit même le mécontentement et déclara :

— C’est décidé ! Je demande que demain ce soit publié dans les journaux.

— Je vous prie, Majesté, de m’excuser, insinua le ministre de la Justice. Tout cela est très beau, mais ce n’est pas une réforme. C’est seulement un cadeau royal pour les enfants des écoles. Si le roi Mathias avait fait une loi pour que chaque élève obtienne quotidiennement[T1], aux frais de l’État, du chocolat, ce serait autre chose. Ce serait déjà une loi. Mais autrement, ce n’est qu’un régal, un cadeau-surprise.

— Alors, que ce soit un régal, acquiesça Mathias. Il était fatigué, et redoutait de nouveaux discours.

— La réunion est terminée, dit-il. Je prends congé de vous.

Mathias partit dans l’auto royale vers son palais, puis il pénétra rapidement dans le jardin et siffla pour avertir Félix.

— Vois-tu, Félix, maintenant je suis un vrai roi. Tout va bien.

— Pour Votre Majesté Royale, mais pas pour moi !

— Pourquoi ? demanda Mathias étonné.

— Mon père m’a donné une telle correction à cause de ce papier ; j’en ai encore devant les yeux trente-six chandelles scintillantes.

— Il t’a rossé, dis-tu ? s’étonnait encore Mathias.

— Hélas, oui. La loi royale te donne des faveurs ? criait-il, mais mes droits de père, vaurien, me permettent de te tanner la peau. Dans le palais tu appartiens au roi, mais à la maison, tu es le fils d’un sous-officier ; et la main d’un père est plus sûre que la faveur du roi.

Mathias fut prudent. Il savait déjà qu’il ne fallait rien faire avec précipitation.

Dans la vie, c’est comme à la guerre, « si tu veux vaincre, tu dois bien te préparer à l’attaque ».

Il était allé trop vite avec ce papier, il avait commis une sottise. Il se créait des soucis et Félix souffrait à cause de lui. Il avait honte maintenant, et cela causait aussi un préjudice à son honneur royal.

Lui, le roi, avait délivré un document et un sous-officier ordinaire avait battu son fils à cause de ce fameux papier royal !

— Félix, nous nous sommes un peu pressés. Te souviens-tu ? Je voulais tout d’abord patienter un peu. Il faut que je t’explique.

Mathias raconta ce qui se passait à propos du chocolat.

Les rois ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent.

— Eh oui ! Votre Majesté Royale…

— Écoute, Félix, continue à me parler en me tutoyant. Nous avons fait la guerre ensemble. Grâce à toi, je me suis évadé de captivité.

Après réflexion, ils décidèrent que, lorsqu’ils seraient seuls, ils se parleraient comme autrefois.

— D’accord ! Démolisseur de Montagnes !

— D’accord ! Arracheur de Chênes ! Cela fut ainsi moins difficile à Mathias de reprendre ce papier de malheur.

— À la place de ce papier, je vais te donner une paire de patins, deux soldats de plomb, un album avec des timbres-poste, une loupe et un aimant.

— Et le vieux m’administrera encore une correction magistrale.

— C’est vrai, mon Félix, sois patient, tu vois bien que les rois ne peuvent pas tout accomplir immédiatement. Les rois doivent obéir à la loi.

— Mais, qu’est-ce c’est la loi ?

— Moi-même, je ne le sais pas bien. Ce sont certains livres ou quelque chose…

— Mais oui, dit tristement Félix. Comme tu assistes constamment aux séances, tu apprends petit à petit un peu de tout, mais moi…

— Ne t’en soucie pas, mon cher Félix, tu verras, tout ira bien. Si je peux distribuer du chocolat à cinq millions d’enfants, je pourrai faire aussi beaucoup pour toi un jour. Mais cela doit être exécuté conformément à la loi. Tu ne te rends pas compte du temps que je passe le soir au lit, avant de pouvoir m’endormir. Allongé, j’attends et je pense, je pense. Je me tourmente et je voudrais faire quelque chose pour que tous aient du bien-être. Maintenant, cela sera plus facile. Qu’aurais-je pu imaginer pour les adultes ? Leur offrir des cigarettes ? Ils ont de l’argent, alors ils peuvent s’en acheter tout seuls. Si je leur avais donné de la vodka, ils se seraient enivrés, et qu’est-ce que cela aurait donné ?

— Je ne sais pas, dit Félix. Toi, tu penses d’emblée à tout le monde. Moi j’aurais ordonné qu’on m’installe ici dans le parc une balançoire, un manège avec musique…

— Vois-tu Félix, tu n’es pas roi, alors, tu ne comprends pas.

— Bien ! Je veux bien un manège, mais pas un tout seul.

— À la prochaine réunion, je demanderai qu’on installe dans toutes les écoles des balançoires et des manèges avec musique.

— Et des jeux de quilles, des stands de tirs.

— Alors, tu vois ![T2]

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « journellement »

[T2]La traduction de la fin de ce dialogue n'est pas très claire. On ne comprend pas bien à quoi peut se rapporter la dernière interjection : « Alors, tu vois ».

 

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13/05/2004 - Revu le : 18/05/04