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(15) Le roi Mathias Ier

 

 

Le jour suivant une lettre arriva, signée par les trois rois ennemis.

« Roi Mathias, écrivaient-ils, tu es vaillant, sage et noble. Pourquoi nous battons-nous ? Nous voulons rester amis avec toi. Nous décidons de retourner dans nos pays.

« Es-tu d’accord ? »

 

Le roi consentit.

La paix fut conclue.

Tous les soldats s’en réjouirent ainsi que leurs épouses, leurs mères et leurs enfants. Il y avait quelques mécontents, ceux qui profitaient de la guerre pour piller et voler, mais ils n’étaient pas nombreux.

Mathias fut donc salué avec allégresse lorsqu’il retourna par le train royal dans la capitale.

Dans une gare, il ordonna d’arrêter le train et il se rendit seul chez la brave femme « aiguilleur ».

— Je suis venu chez vous pour boire un café, dit Mathias en souriant[T1].

— Quel bonheur ! Quel bonheur ! disait-elle.

Dans sa joie, la femme ne savait plus que faire[T2]. Des larmes d’émotion coulaient, coulaient de ses yeux.

Quand Mathias arriva dans sa capitale, une auto l’attendait mais il réclama un cheval blanc.

Le maître des cérémonies s’en réjouit et se prit la tête dans les mains.

Ah ! comme ce Mathias est sage, pensa-t-il.

Naturellement quand un roi revient de la guerre il doit être à cheval et non dans une automobile.

On vit alors Mathias parcourir au pas toutes les rues. À toutes les fenêtres, il y avait beaucoup de monde et surtout des enfants.

Ces enfants jetèrent beaucoup de fleurs et crièrent le plus fort qu’ils purent.

— Vivat ! Vive le roi Mathias.

— Vivat ! Vivat ! Vivat !

Mathias se tenait très droit, mais il était très fatigué : attaque, captivité, évasion, délibération et à nouveau la bataille, puis le voyage et aujourd’hui cette cohue enthousiaste, il y avait de quoi être exténué. Aussi, par instants, il éprouvait dans sa tête des bourdonnements, ses yeux papillotaient. C’était comme un scintillement d’étoiles, ou quelque chose de semblable.

Un badaud lança sa casquette en l’air, celle-ci retomba juste sur la tête du cheval, un étalon de pure race de l’écurie royale et très sensible. Le cheval se jeta sur le côté et Mathias fit une chute.

Aussitôt transporté dans un carrosse, il fut conduit au palais au galop.

Mathias ne s’était fait aucun mal, il n’était même pas évanoui, mais il tomba dans un profond sommeil. Il dormit, dormit comme une pierre jusqu’au soir, puis jusqu’au matin et encore jusqu’à midi.

— Donnez-moi à manger, tonnerre de Brest ! hurla tout à coup Mathias.

Il cria si fort que les laquais devinrent pâles de peur, blancs comme des feuilles de papier.

Une minute après, il y avait sur le lit, près du lit et sous le lit une centaine de plats avec nourriture et friandises.

— Enlevez-moi immédiatement ces fricassées d’Outre-mer, gronda Mathias, je veux de la saucisse avec de la choucroute et de la bière !

Gros émois, appels au secours ; dans tout le royal cellier, point de saucisses. Heureusement le caporal de la garde du palais en prêta…

— Ah ! vous, fils à papa, morveux, fainéants, douillets, poupées, nourrissons. Mathias débitait ainsi toute sa science soldatesque. Maintenant je vous apprendrai à vivre.

Il avalait le saucisson, en faisant remuer ses oreilles. Au fond de son âme, il pensait :
Maintenant, ils sauront que le vrai roi est revenu, et qu’ils doivent obéir !…

Car il avait le pressentiment qu’après une guerre victorieuse il serait obligé de recommencer une plus grande bataille avec ses ministres.

Déjà sur le front, la nouvelle lui était parvenue que le ministre des Finances écumait de rage.

En voilà un beau vainqueur ! disait-il. Pourquoi n’a-t-il pas demandé un tribut ? C’est toujours ainsi, celui qui perd doit payer… Noble ? Eh bien ! qu’il gouverne tout seul, maintenant, avec le trésor à sec. Qu’il paye aux fabricants les canons, aux cordonniers les brodequins, aux fournisseurs l’avoine, les pois, l’orge. Tant que la guerre continuait tout le monde attendait, mais à présent, il faut payer ! Et comment le faire[T3] si les caisses sont vides ?

Le ministre des Affaires étrangères était furieux, lui aussi.

— Depuis que le monde existe, jamais on n’a fait signer la paix sans la présence du ministre des Affaires étrangères ! Alors, je sers à quoi ? Pour la pompe ? Les fonctionnaires se moquent déjà de moi !

Le fabricant de poupées ne laissait pas en paix le ministre du Commerce.

— Payez-moi la poupée en porcelaine, répétait-il.

Quant au premier ministre, il n’avait pas la conscience tranquille et le préfet de police, lui aussi, avait un peu peur, car lors de la fuite de Mathias, il n’avait pas expliqué la chose d’une façon très intelligente.

Mathias savait tout cela en partie, et devinait le reste. Il décida de mettre de l’ordre.

Il en avait assez de ces gouvernements ministériels. De deux choses l’une, ou ils vont obéir, ou alors qu’ils s’en aillent.

Maintenant, il ne suppliera plus le premier ministre quand celui-ci décidera d’être malade.

Après le saucisson, Mathias se pourlécha les lèvres, puis il cracha sur le tapis et il ordonna qu’on versât sur lui un seau d’eau froide.

— C’est un bain militaire, dit-il satisfait. Alors il s’habilla, mit la couronne sur sa tête et il entra dans la salle du Conseil.

Le ministre de la Guerre attendait seul dans la salle.

— Où sont les autres ? dit le roi.

— Ils ne savaient pas que Votre Majesté voulait tenu une conférence avec eux.

— Peut-être croyaient-ils que dès mon retour de la guerre, je me mettrais à étudier avec le précepteur étranger et qu’ils continueraient à faire ce que bon leur semblerait. Tonnerre de Brest ! Ils se trompent totalement, Monsieur le Ministre, je vais annoncer une réunion pour deux heures.
« Lorsque nous siégerons dans la salle, un détachement de soldats devra se rassembler sans faire de bruit dans le couloir ; le sergent devra se tenir devant la porte et écouter : lorsque je frapperai dans mes mains, il entrera avec ses soldats dans la salle.
«… Je peux vous dire la vérité : si vos collègues voulaient exiger que tout reste à l’ancienne mode comme avant la guerre, j’ordonnerais, Tonnerre de Brest, de les arrêter. Mais c’est un secret ».

— À vos ordres, Majesté Royale, dit en s’inclinant le ministre.

Mathias ôta sa couronne et se rendit au jardin du palais. Il n’y était pas allé depuis si longtemps !

— Ah ! c’est vrai. J’avais totalement oublié Félix.

Il siffla ; en réponse, il reçut le signal du « coucou ».

— Viens, Félix, n’aie aucune crainte. À présent je suis un vrai roi et je n’ai plus besoin de m’expliquer devant personne.

— Que dira mon père '?

— Tu diras à ton père que tu es le favori du Roi, que j’interdis qu’il te touche, même avec son pouce.

— Votre Majesté ne pourrait-elle pas écrire cela ?

— Bien volontiers ! Allons dans mon cabinet !

Félix ne se fit pas répéter deux fois l’invitation.

— Monsieur le Secrétaire d’État, dit Mathias, je vous prie d’écrire une note décrétant que Félix est nommé mon « Favori ».

— Votre Majesté Royale, ce titre n’existe pas à la cour !

— S’il n’existe pas, dès maintenant, il est créé, telle est ma volonté.

— Peut-être la volonté de Sa Majesté Royale ordonnera-t-elle l’ajournement de ce décret jusqu’à la réunion ministérielle. Ce retard ne sera pas trop grand, et cela sera un peu plus dans les formes !

Mathias était prêt à céder, mais Félix le tira insensiblement par la manche…

— J’exige l’établissement immédiat de ce document. Tonnerre de Brest ! hurla Mathias.

Le Secrétaire se gratta la tête et rédigea deux documents. Sur l’un, il écrivit :

« Moi, roi Mathias, exige irrévocablement qu’il soit écrit immédiatement et soumis à la signature et après l’apposition du sceau, me soit remis le document nommant Félix au rang de Favori royal à la cour. Au cas de non-exécution sur-le-champ, de ma volonté et de cet ordre catégorique, le responsable de la résistance subira la plus sévère et la plus absolue des punitions.

« Ce que je porte à la connaissance de Monsieur le Secrétaire du Palais, et je certifie en signant de ma propre main. »

Le secrétaire expliqua que, seulement après la signature de ce document, il aurait le droit d’établir le second papier.

Le roi Mathias signa et aussitôt après le secrétaire remit à Félix sa nomination, chargée du sceau, le faisant Favori.

Ils se rendirent à la salle de jeux royale et regardèrent des jouets, des livres ; ils parlaient et se rappelaient leurs aventures guerrières. Ensuite, ils déjeunèrent ensemble. Puis ils allèrent au jardin où Félix appela des camarades du même âge que lui, compagnons de jeux de la rue. Ils s’amusèrent beaucoup jusqu’à la réunion des ministres.

— Je suis obligé de partir, dit tristement Mathias.

— Si j’étais roi, je n’aurais jamais été obligé à cela !

— Tu ne comprends pas cela, mon Félix, les rois ne peuvent pas toujours faire ce qu’ils veulent.

Félix haussa les épaules, voulant dire qu’il était d’un autre avis.

Alors, malgré le décret signé par le roi lui-même, il retourna à la maison, sachant qu’il rencontrerait le regard sévère de son père qui poserait la question bien connue :

— Où traînes-tu, grand propre à rien ? Amène-toi là et raconte.

Félix savait bien ce qui arrivait d’habitude après cette question. Cette fois, il devait en être autrement.

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « dit Mathias souriant »

[T2]En remplacement de : « La femme dans sa joie ne savait plus que faire. »

[T3]En remplacement de : « Mais comment le faire » (répétition de mais).

 

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13/05/2004 - Revu le : 18/05/04