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(13) Le roi Mathias Ier

 

 

Mathias devait encore apprendre une chose d’une très grande importance : l’armée, pensait-il, ne pourra rester indéfiniment dans les tranchées, qu’arrivera-t-il ? Comment la guerre finira-t-elle ?

Un silence régnait sur le front dans les tranchées pendant qu’on déployait une intense activité dans la capitale. Tout allait être préparé pour qu’une fois l’armée concentrée en un seul point, on puisse frapper l’ennemi de toutes ses forces et rompre le front. Car lorsque la continuité des tranchées est rompue en un endroit l’ennemi est acculé et obligé de fuir. La rupture du front permet à l’adversaire de s’infiltrer et de tirer sur les arrières.

Au cours de cet hiver, le lieutenant fut nommé capitaine, Mathias reçut une décoration. Et comme il s’en réjouit ![T1] Son détachement fut à deux reprises cité pour son vaillant comportement. Le général lui-même vint dans leurs tranchées et fit cette proclamation :

— Au nom du roi Mathias, je félicite le détachement qui a fait sauter la poudrière ennemie. Je le remercie pour les vaillants services dont il a fait preuve dans la défense de la patrie et de nos compatriotes… Je vous confie un projet secret : dès qu’il fera beau temps, il faudra rompre les lignes ennemies.

C’était un grand honneur.

Aussitôt, les préparatifs secrets débutèrent. De nombreux canons et obus furent amenés. À l’arrière, en réserve, on concentra la cavalerie.

Chaque jour, les soldats observèrent le soleil. Quand ferait-il beau ? Car ils s’ennuyaient terriblement.

Ainsi, les pauvres attendirent en se préparant ; ils ignoraient combien ils allaient souffrir.

Leur capitaine inventa le subterfuge suivant :

— Nous n’attaquerons pas d’emblée avec toutes nos troupes. Le premier jour, une partie de l’armée simulera l’attaque et aussitôt se repliera. Dans ce cas, l’ennemi pensera qu’elle n’est pas en force. Le lendemain, toutes nos forces seront jetées au combat et on rompra le front ennemi.

Il en fut ainsi.

Il envoya la moitié de son armée à l’attaque. Mais auparavant il ordonna à l’artillerie de pilonner longtemps les barbelés de l’ennemi pour les disloquer et laisser le passage libre à l’infanterie.

— En avant, hop !

Qu’il est agréable de sauter de ces tranchées inconfortables, de laisser ces fossés humides, de courir et de crier de toutes ses forces :

— Hourra, en avant.

L’ennemi fut affolé lorsqu’il s’aperçut qu’on fonçait sur lui, baïonnette au canon, à tel point qu’il tira peu et maladroitement. Les soldats de Mathias s’approchèrent des fils barbelés qui jonchaient le sol, bouleversés. Très vite, le capitaine donna l’ordre de reculer.

Mais Mathias et quelques autres soldats, soit qu’ils n’aient pas entendu l’ordre, soit qu’ils se soient aventurés un peu trop loin, furent encerclés par les ennemis et faits prisonniers.

— Eh ! Les vôtres ont eu la frousse, dirent les soldats en se moquant d’eux. On avance, on fait beaucoup de bluff et, arrivés devant nous, on file ! Et puis, vous n’êtes pas si nombreux.

Les soldats ennemis parlaient ainsi, car ils avaient honte de leur couardise et d’avoir eu peur au point d’oublier de tirer.

Pour la seconde fois, Mathias se rendit à l’État-major ennemi ; mais avec cette différence que la première fois il était déguisé et se comportait en espion, alors qu’à présent, sous sa capote militaire, il était un prisonnier de guerre.

— Ah ! Nous te connaissons, espèce d’oiseau rare ! cria l’officier ennemi courroucé. C’est bien toi qui étais ici pendant l’hiver ? C’est par tes renseignements qu’on a fait sauter la poudrière… Ah ! Ah ! Maintenant, tu ne nous échapperas plus comme l’autre fois.

— Mettez les soldats plus âgés dans le camp de prisonniers, et le petit sera pendu comme espion.

— Je suis soldat ! répliqua Mathias. Vous avez le droit de me fusiller, mais pas de me pendre.

— Tu es bien malin, cria l’officier, écoutez un peu ce qu’il demande ? Maintenant peut-être que tu es soldat, mais la dernière fois, tu étais Tom, tu nous as trahis ! Et nous te pendrons !

— C’est interdit, s’obstina de nouveau Mathias, car j’étais aussi soldat ; je suis seulement arrivé ici déguisé, et je me suis assis exprès devant la chaumière incendiée.

— Bien, assez de bavardages ! Reconduisez-le tout seul, sous une escorte sévère, à la prison.

— Demain, le tribunal statuera sur cette affaire. Si véritablement tu étais soldat, dans ce cas peut-être auras-tu quelques chances ? Je préférerais pour toi la corde à une balle.

Le lendemain, le Conseil de Guerre se réunit ; au cours de la séance, l’officier prit la parole :

— J’accuse ce garçon, dit-il, d’avoir pendant l’hiver dernier espionné et obtenu des renseignements sur l’emplacement de notre poudrière ; il rapporta ces renseignements à l’artillerie ennemie. Douze fois, ils ont tiré sans l’atteindre, mais à la treizième, ils firent mouche, et la firent sauter.

— En a-t-il été ainsi ? Te sens-tu coupable ? demanda le juge, un général aux cheveux gris. Mathias répondit :

— Non, cela s’est passé autrement. Je n’ai pas cherché à savoir où se trouvait la poudrière, mais cet officier m’y a conduit, il m’a tout montré, et il m’a ordonné d’aller voir où se trouvait notre poudrière à nous et de la lui signaler… Pour cela, il m’a donné du chocolat. N’est-ce pas exact ?

L’officier rougit fortement, il avait mal agi, car il est interdit de dire à quiconque où se trouvent les dépôts de munitions.

— J’étais soldat, on m’a envoyé en reconnaissance, et c’est votre officier qui voulait faire de moi un espion, continua rageusement Mathias.

— Et comment pouvais-je savoir ? disait pour sa défense l’officier.

Mais le Général ne le laissa pas finir.

— C’est une honte, Monsieur, qu’un si petit bonhomme vous ait dupé. Vous avez commis une faute, et vous serez puni. Mais on ne peut pas non plus lui pardonner : qu’en pensez-vous, Monsieur l’Avocat ?

L’Avocat commença la défense de Mathias.

— Messieurs les Juges ! L’accusé qui se dit tantôt Arrache-Chênes tantôt Tom Pouce, est innocent : il est soldat, il est obligé d’obéir. Il partait en reconnaissance, là où on l’a envoyé. Et je pense qu’il doit être interné dans le camp de prisonniers comme les autres.

Le Général se réjouissait en lui-même, le garçon lui faisait pitié. Mais il ne dit rien, car un militaire n’a pas le droit de montrer qu’il s’apitoie sur quelqu’un, à plus forte raison sur un soldat ennemi.

Il pencha la tête sur le livre où sont inscrites toutes les lois du Code militaire et chercha ce qui était inscrit au sujet des espions. Il y lut que les espions civils qui trahissent pour de l’argent devaient être pendus immédiatement ; quant aux espions militaires, on peut soit d’emblée les fusiller, soit si l’avocat n’est pas d’accord, expédier tous les actes d’accusation à un tribunal supérieur et retarder un peu l’exécution.

— Par conséquent, je peux exiger, dit l’avocat, qu’on renvoie ce procès devant la justice compétente.

— Entendu ! répondirent en plein accord le général et les Juges.

Mathias fut donc de nouveau conduit dans sa prison.

La prison de Mathias était une simple chaumière paysanne. Car dans les champs, sur le front, on ne trouve pas de grandes maisons de pierre, avec des grilles aux fenêtres : de telles constructions ne se trouvent qu’en ville, mais l’armée en campagne en est dépourvue. Mathias fut donc conduit dans cette bicoque ; devant chaque fenêtre et chaque porte, on plaça deux soldats avec des fusils et des revolvers chargés.

Mathias s’assit et réfléchit sur son sort. Il ne perdait point espoir :

— On devait me pendre, ils ne m’ont point pendu ! Peut-être échapperai-je à la fusillade. Tant de balles ont déjà si souvent sifflé autour de moi !

Il mangea à belles dents le repas du soir qui était très appétissant. Les condamnés à mort sont bien nourris, tel le voulait la loi, et Mathias fut traité comme un condamné à mort.

Assis à la fenêtre, Mathias contemplait le ciel. Des avions volaient.

— Sont-ce les nôtres ou ceux de l’ennemi ? se demandait-il.

Soudain trois bombes éclatèrent en même temps, toutes à proximité de sa prison.

Que se passa-t-il ensuite ? Mathias ne s’en souvint plus, car de nouveau, tomba une pluie de bombes : l’une d’elles frappa la chaumière ; quelque chose bouillonna. Une sorte de gémissement, de cri, des bourdonnements ; quelqu’un le saisit. Mathias sentit sa tête ballante, ensuite une sorte de sonnerie insupportable… Quand Mathias reprit connaissance, il était couché dans un large lit, au milieu d’une chambre joliment meublée.

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]En remplacement de : « Eh ! comme il s'en réjouit »

 

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13/05/2004 - Revu le : 15/05/04