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(43) Le roi Mathias Ier
[Les députés enfants se mettent sérieusement au travail]

 

 

Mathias est rentré au palais, mortellement offensé. Jamais ! non jamais plus, il ne remettra[T1] les pieds au Parlement des enfants.

Une telle ingratitude, un tel manque de reconnaissance pour son travail, ses bonnes intentions, ses voyages au cours desquels il avait failli perdre la vie, son héroïque défense du pays !

Ils voulaient être des magiciens, il fallait leur donner des poupées hautes comme le ciel, à ces imbéciles ! Dommage qu’il ait donné lui-même le point de départ à tout cela.

L’eau coulait à travers le toit, la nourriture n’était pas bonne, il n’y avait pas de divertissements.

Dans quel État les enfants ont-ils pareil jardin zoologique ? N’y avait-il pas assez de feux d’artifice, de musiques militaires ? Il avait édité un journal pour eux. Cela n’en valait pas la peine. Ce même journal, demain, rendrait publique cette séance et ferait connaître au monde entier qu’on l’avait appelé : chat (burek) et « Mathias-le-Canari ». Non, vraiment, cela ne valait pas la peine de se donner tant de mal !

Mathias donna l’ordre d’annoncer qu’il ne lirait plus les lettres des enfants et de supprimer l’audience de l’après-midi. Il ne voulait plus donner de cadeaux. Il en avait assez !

Puis il téléphona au Président des ministres de venir tout de suite pour une affaire très importante.

Il voulait lui demander conseil pour savoir ce qu’il devait faire maintenant.

— Voulez-vous me mettre en communication, s’il vous plaît, avec l’appartement privé du Premier ministre.

— Allô ! Qui parle ?

— Le Roi !

— Le Président des ministres n’est pas là ! répondit le Premier ministre, ne pensant pas que Mathias reconnaîtrait sa voix.

— Mais pourtant vous parlez avec moi au téléphone, dit Mathias.

— Oh ! C’est Votre Majesté Royale ? Oh ! Je vous prie de m’excuser. Je ne peux pas venir. Je suis malade et je dois me mettre immédiatement au lit. C’est pour cela que je dis que je ne suis pas à la maison.

Mathias raccrocha le téléphone.

— Il ment, répéta-t-il, révolté, en marchant dans son cabinet. Il ne veut pas venir, il sait déjà tout. Personne ne me respectera plus à présent. Ils vont se moquer de moi.

Le laquais vint annoncer Félix et le journaliste.

— S’il vous plaît[1], dit Mathias.

— Je suis venu demander à Votre Majesté Royale comment je dois faire dans le journal le compte rendu de la séance d’aujourd’hui de PRO-PAR. On ne peut rien écrire de tout cela, mais il y aura des potins. Alors, on peut écrire que la séance a été houleuse, que le Baron de la Fumée a donné sa démission, c’est-à-dire qu’il s’est senti offensé et qu’il ne voulait plus être ministre. Mais le roi n’a pas été de cet avis, le Baron de la Fumée est resté ministre et le roi lui a remis une décoration.

— Et sur moi, qu’écrivez-vous ?

— Mais rien. On n’écrit pas de telles choses. Ce n’est pas beau. Le plus difficile, c’est avec Antoine. Antoine est député, alors on ne peut pas lui donner des coups de fouet. Les députés peuvent se battre entre eux, mais le gouvernement ne peut rien leur faire, ils bénéficient de l’immunité. Du reste, il a reçu une correction par Klu-Klu, peut-être qu’il se calmera.

Mathias était satisfait de savoir qu’on n’écrirait pas dans le journal qu’Antoine s’était moqué de lui et volontiers il lui pardonnait.

— Demain, la séance commencera à douze heures, dit Félix.

— Cela ne m’intéresse pas du tout, car je ne viendrai pas.

— C’est mal, dit le journaliste. Ils penseront que Votre Majesté Royale a peur.

— Comment faire ? Je me sens pourtant offensé, dit Mathias avec des larmes dans les yeux.

— Une délégation de députés viendra s’excuser près de Votre Majesté.

— Bien ! acquiesça Mathias.

Le journaliste s’en alla, car il était obligé d’écrire tout de suite dans la gazette pour que tout soit imprimé le lendemain matin. Félix resta.

— Ne te l’ai-je pas justement dit, cesse de t’appeler Mathias…

— Quoi ? interrompit Mathias irrité. Toi ? Tu te nommes « Baron de la Fumée » et on t’a appelé Baron Baran = mouton. C’est pire que moi : chat, ce n’est rien de mal après tout.

— Bien ! Mais je suis seulement ministre, et toi, tu es le Roi. Il est plus fâcheux que le roi Mathias soit appelé « chat » qu’un ministre « mouton ».

Klu-Klu ne se rendit pas à la session, mais Mathias était obligé d’être présent. Au début, cela lui fut désagréable, mais tous étaient assis calmement et les discours étaient très intéressants. Mathias oublia enfin ce qui s’était passé la veille.

Les députés parlèrent de l’encre rouge, demandèrent qu’on ne se moque pas des enfants.

— Les instituteurs corrigent les cahiers toujours avec de l’encre rouge, nous sommes obligés d’écrire avec la noire. L’encre rouge est plus… plus jolie. Nous voulons aussi écrire joliment.

— Oui ! dit une fillette députée, et on devrait à l’école ajouter aux cahiers du papier pour les couvrir, car la couverture peut se salir. Il nous faudrait aussi certains cachets ou des fleurs, ou autre chose pour qu’on puisse décorer les cahiers.

Quand la fillette eut fini de parler les applaudissements retentirent. En agissant ainsi les garçons voulaient montrer qu’ils n’étaient point fâchés contre les filles, et l’aventure de la veille, provoquée seulement par dix ou vingt voyous, montrait que sur quelques centaines de députés il n’y avait qu’une poignée de vauriens. Cela n’est pas beaucoup.

On parla longtemps des adultes qui se moquent des enfants.

— Quand on demande ou désire exécuter quelque chose, ils crient après nous et se fâchent ou se moquent de nous. Cela ne doit plus être ainsi, dit un enfant.

— Les adultes pensent qu’ils savent tout. Ça n’est pas vrai.

— Mon père ne pouvait pas énumérer les presqu’îles d’Australie et tous les fleuves d’Amérique. Il ne savait pas dans quel lac le Nil prend naissance.

— Le Nil n’est pas en Amérique, mais en Afrique, fit remarquer de sa place un député.

— Je le sais mieux que toi, je l’ai dit seulement pour l’exemple. Les adultes ne connaissent rien aux timbres-poste. Les adultes ne savent pas non plus siffler entre leurs doigts, c’est pour cela qu’ils disent que ce n’est pas beau.

— Mon oncle sait siffler.

— Mais pas entre ses doigts.

— Qu'st-ce que tu en sais ?

— Tu es un sot !

Une nouvelle bagarre aurait pu éclater, mais le Président sonna et dit qu’il était interdit de traiter de « sots » les députés, et que quiconque agirait ainsi serait expulsé de la séance.

— Qu’est-ce que cela signifie « expulser de la séance » ?

— C’est une expression parlementaire. À l’école, on dit : « mettre à la porte. »

De cette façon, les députés apprenaient peu à peu comment il faut se conduire au parlement.

À la fin de la séance un député en retard fit son entrée.

— Je vous prie de m’excuser, je suis en retard, mais maman ne voulait point me permettre de venir, car hier on m’a griffé le nez, on m’a fait une bosse.

— C’est un abus. Le député bénéficie de l’immunité parlementaire et on ne peut pas à la maison lui interdire d’aller aux séances. Comment alors faire régner l’ordre ? Si on l’a élu à la députation il est obligé de délibérer. À l’école aussi on peut être griffé au nez, et les parents n’interdisent pas d’y aller.

Ainsi commença la controverse entre les enfants et les adultes, mais ce n’était que le début.

Car il faut raconter ce que ni Mathias ni les députés ne savaient encore.

À l’étranger, les journaux commençaient à causer de ce « Parlement » des enfants. De plus en plus, à la maison, à l’école, les enfants en parlaient, et quand injustement on leur donnait une mauvaise note, ou si l’on se mettait en colère après eux, ils disaient aussitôt :

— Si nous avions nos propres députés, cela n’arriverait pas.

Dans le petit État de la Reine Campanélia, dans l’Europe du Sud, les enfants s’étaient fâchés pour une raison quelconque et s’étaient mis en grève. On apprit que les enfants voulaient avoir à l’instar des ouvriers leur étendard, et que celui-ci devait être vert. Puis ils organisèrent un défilé avec le drapeau vert. Les adultes étaient très fâchés.

— Une nouvelle histoire ! Nous avions déjà assez de soucis avec les ouvriers et leur étendard rouge ; à présent cela recommence avec les mioches, il ne manquait plus que cela.

Cette nouvelle réjouit Mathias ; dans le journal se trouvait un grand article sous ce titre :

 

LE MOUVEMENT DÉBUTE

« Dans l’État de la Reine Campanélia, le climat est chaud, les enfants y ont la tête près du bonnet. Pour cette raison, ils ont commencé les revendications et ils réclament l’exercice de leurs droits.

« Sous peu, l’étendard vert sera adopté par tous les enfants du monde. À ce moment, les enfants comprendront qu’ils ne doivent pas se battre et l’ordre régnera. Tous les hommes s’aimeront. Il n’y aura plus jamais de guerre, puisqu’étant petits, ils auront appris l’horreur des combats. Lorsqu’ils seront devenus grands, ils refuseront de participer au jeu de la guerre.

« Le Roi Mathias, écrivait le journal, fut le premier à dire que les enfants devaient avoir un étendard vert. Le Roi Mathias a imaginé cela et doit devenir le roi des enfants, non seulement dans son État, mais dans le monde entier.

« La Princesse Klu-Klu ira en Afrique et là-bas, elle expliquera tout aux enfants noirs. Tout ira pour le mieux. Les enfants auront les mêmes droits que les adultes et ils seront des citoyens.[T2]

« Les enfants écouteront les conseils, non parce qu’ils auront peur, mais seulement parce qu’ils voudront eux-mêmes que l’ordre règne. »

 

Encore beaucoup d’autres choses intéressantes étaient écrites dans la gazette. Mathias s’étonnait beaucoup que le roi triste dise que c’est tellement difficile d’être réformateur, que les réformateurs périssent le plus souvent misérablement et que c’est seulement après leur mort que les gens s’aperçoivent qu’ils avaient raison. Et qu’alors on leur érige des monuments.[T3]

« Quant à moi, tout va bien, aucun danger ne me menace. J’ai eu aussi, il est vrai, pas mal de chagrins et de soucis, mais celui qui gouverne une nation doit être préparé à cela ».



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Notes

[1] Formule de courtoisie indiquant que Mathias les accueille ; on aurait tout aussi bien pu écrire : « Je vous en prie », le sens étant : « Je vous écoute ».

 

 

 

Commentaires sur la traduction

[T1] En remplacement de : «  il ne mettra les pieds ».

[T2] En remplacement de : « et seront citoyens ».

[T3] En remplacement de : «  et que c’est seulement après la mort que les gens s’aperçoivent qu’ils avaient raison. Alors on leur érige des monuments. »

 

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01/09/2004 - Revu le : 7/09/09