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(2) Le roi Mathias Ier

 

 

Et ce fut ainsi…

— Si le roi ne guérit pas d’ici trois jours, cela finira mal, dit le docteur.

— Le roi est gravement malade et s’il n’est pas mieux dans trois jours, tout se terminera très mal… répéta-t-il.

Tous furent très affligés.

Le Premier ministre mit ses lunettes et demanda :

— Qu’adviendra-t-il si le roi ne guérit pas ?

Le docteur ne voulait pas le dire franchement, mais tous comprirent que le roi était condamné.

Le Premier ministre était très soucieux, il convoqua alors tous les ministres en Conseil.

Les ministres se réunirent dans la grande salle. Ils s’installèrent dans de confortables fauteuils près d’une longue table. Les ministres avaient chacun devant eux une feuille de papier et deux crayons : l’un ordinaire, l’autre à mine bleue et rouge.

Le Premier ministre avait en plus une sonnette.

Les ministres fermèrent la porte à clé afin de n’être pas dérangé ; ils allumèrent l’éclairage électrique[1], et restèrent silencieux.

Puis le Premier ministre agita sa sonnette en disant :

— Maintenant, il convient de prendre une décision puisque le Roi est malade et qu’il ne peut pas gouverner.

— Je pense, dit le Ministre de la Guerre, qu’il faut appeler le médecin afin qu’il se prononce franchement pour savoir s’il y a un espoir de guérison pour le roi.

Tous craignaient le ministre de la Guerre, il portait toujours une épée, et un revolver sur lui, alors… on l’écoutait.

— Parfait ! Appelons le docteur, dirent les ministres.

Aussitôt, ils l’envoyèrent chercher, mais il ne pouvait pas venir immédiatement, il était justement occupé à appliquer au roi vingt-quatre ventouses.

— Tant pis ! Nous sommes obligés d’attendre, dit le Premier ministre. Eh bien ! Pendant ce temps, nous déciderons de ce qu’il faudrait faire si le roi mourait.

— Je sais, disait le Ministre de la Justice. Conformément à la loi, après la mort du souverain, le dauphin accède au trône et gouverne. Pour cette raison, on l’appelle le Prince héritier. Si le roi meurt, son fils aîné doit s’asseoir sur le trône.

— Lorsque le roi n’a qu’un fils !

— Cela suffit.

— Sûrement ! Mais le fils du roi, c’est le petit Mathias.

— Comment peut-il devenir le Roi, Mathias ne sait pas encore écrire !

— C’est bien difficile, répondit le ministre de la Justice.

— Un pareil cas ne s’est encore jamais présenté dans notre royaume.

— Mais en Espagne, en Belgique et dans d’autres États, il est arrivé qu’un roi meure en laissant un jeune fils. Et ce jeune enfant était bien obligé de devenir roi.

— Oui ! Oui ! disait le ministre des P.T.T.[2] J’ai même vu des timbres-poste avec l’effigie d’un enfant-roi.

— Mais, respectable assemblée, disait le ministre de l’Éducation nationale, il est impossible que le roi ne sache ni écrire, ni compter, qu’il ignore géographie et grammaire !

— Je partage la même opinion, disait le ministre des Finances. Comment pourrait-il calculer et prévoir la quantité de nouveaux billets à imprimer s’il ne connaît pas la table de multiplication ?

— Le pire de tout, mes Seigneurs, disait le ministre de la Guerre, c’est que personne ne craindra un si petit roi. Comment arrivera-t-il à se faire obéir des soldats et des généraux ?

— Je pense, dit le ministre de l’Intérieur, qu’un si petit roi n’inspirera pas de crainte aux militaires, pas même aux civils. Nous allons avoir en permanence des grèves et des révoltes. Je ne me porte garant de rien si vous faites de Mathias un roi !

— Je ne sais rien de ce qui se passera, dit, cramoisi par la colère, le ministre de la Justice. Je ne sais qu’une chose : la loi ordonne qu’après la mort du roi son fils lui succède sur le trône.

— Mais Mathias est trop petit ! hurlèrent tous les ministres.

Une terrible querelle allait certainement éclater, mais au même instant les portes s’ouvrirent et un ambassadeur étranger pénétra dans la salle.

Cela pouvait paraître surprenant qu’un ambassadeur étranger s’introduisît pendant la réunion des ministres, les portes étant fermées à clé… Alors, je dois avouer que lorsqu’on était allé appeler le docteur, on avait oublié de refermer la porte. Certains dirent même par la suite que c’était une trahison et que le ministre de la Justice avait intentionnellement laissé la porte ouverte, sachant que l’ambassadeur devait venir.

— Bonsoir, dit l’ambassadeur. Je viens ici au nom de mon roi. J’exige que Mathias Ier soit roi ! Et si vous ne voulez pas, ce sera la guerre.

Le Premier ministre avait très peur, mais il feignit l’indifférence.

Il écrivit sur la feuille avec le crayon bleu : Bien, que la guerre soit ! Et il donna ce papier à l’ambassadeur étranger.

Celui-ci le prit, salua et dit :

— Fort bien, je le transmettrai à mon gouvernement…

À ce moment, le docteur entra dans la salle. Tous les ministres le prièrent de sauver le roi, car la guerre et bien des calamités menaçaient si le roi devait mourir.

— J’ai donné au roi tous les médicaments que je connaissais. Je lui ai mis des ventouses, je ne peux rien de plus. On peut encore appeler d’autres médecins en consultation.

Les ministres écoutèrent le conseil et décidèrent d’appeler les plus célèbres médecins, afin de sauver le roi.

Ils envoyèrent à travers la ville toutes les voitures royales et pendant ce temps, les ministres demandèrent au cuisinier royal de préparer un repas. Ils avaient très faim. Ne sachant pas que le Conseil serait si long, ils n’avaient pas déjeuné chez eux. Le cuisinier les servit dans des plats d’argent et remplit les carafes des meilleurs vins, car il tenait beaucoup à conserver sa fonction, même après la mort du roi.

Ainsi les ministres se restaurèrent, ils mangèrent et burent si bien qu’ils devinrent tous très gais. Pendant ce temps, les docteurs se réunissaient dans le salon.

— Je pense, dit un vieux médecin barbu, qu’il faut opérer le roi.

— À mon avis, dit un second médecin, il faut faire au roi un enveloppement chaud, et ordonner qu’il se gargarise.

— Il doit prendre des cachets, affirma un célèbre professeur.

— Certainement que des gouttes seraient meilleures, déclara encore un autre.

Chacun des médecins avait apporté un gros traité de médecine et montrait que suivant son livre, la manière de traiter une même maladie était toute différente.

Il était déjà bien tard et les ministres avaient terriblement envie de dormir, mais ils étaient obligés d’attendre la décision des médecins.

Le brouhaha était si assourdissant dans tout le château, que le petit Prince Mathias, fils du roi, se réveilla à deux reprises.

Il faut voir ce qui se passe là-bas ! pensa Mathias.

Il se leva de son lit, s’habilla à la hâte, et sortit dans le couloir. Il s’arrêta devant la porte de la salle à manger, non pas pour écouter mais parce que,[T1] dans le château royal, les poignées des portes étaient si haut placées que le petit Mathias ne pouvait pas ouvrir seul[T2] les portes.

— Le vin du roi est bon ! cria le ministre des Finances. Nous allons en boire encore, mes Seigneurs.

— Si Mathias devenait, alors le vin ne lui serait pas nécessaire, on l’interdit aux enfants.

— Les cigares aussi leur sont défendus. Alors, il est permis d’en emporter quelques-uns avec nous, vociféra le ministre du Commerce.

— Et, en cas de la guerre, mes chers amis, je vous garantis qu’il ne resta rien de ce palais, car Mathias ne pourra pas nous protéger.

Tous commencèrent à rire et à hurler !

— Buvons à la santé de notre « Protecteur » le grand « ROI MATHIAS Ier ! »

Mathias ne comprenait pas très bien ce qu’ils disaient, il savait que son papa était malade et que les ministres se rassemblaient fréquemment en Conseil. Mais pourquoi se moquaient-ils de lui, Mathias ? Et pourquoi appelaient-ils roi ? Et de quelle guerre s’agissait-il ?

Il ne comprenait rien.

Un peu endormi, un peu effrayé, il avançait dans le couloir, et de nouveau à travers la porte de la salle du conseil il entendit une l’autre conversation :

— Moi, je vous dis que le roi mourra. Vous pouvez donner des cachets, des médicaments, tout cela n’empêchera pas le pire.

— Je donne ma tête que le roi ne passera pas la semaine.

Mathias n’écoutait plus. En courant, il traversa le corridor, puis deux salles des appartements royaux, et essoufflé, pénétra dans la chambre royale.

Le roi reposait, très pâle sur son lit, respirant difficilement : près du roi, assis, le seul et toujours brave docteur qui avait soigné Mathias quand il avait été malade.

— Père ! cria Mathias en larmes, je ne veux pas que tu meures !

Le roi ouvrit les yeux et regarda son fils tristement.

— Je ne veux pas mourir, dit doucement le roi. Je ne veux pas laisser mon petit garçon seul au monde.

Le docteur prit Mathias sur ses genoux et ils restèrent silencieux.

Mathias se souvint qu’une fois déjà il était resté ainsi près de ce lit. C’était alors son père qui le tenait sur ses genoux, et sur le lit reposait sa mère, aussi pâle que le roi et respirant aussi difficilement.

Papa mourra comme maman ! pensa Mathias.

Une profonde tristesse étreignit sa poitrine. En même temps, il fut pris d’une grande colère et d’un grand ressentiment contre les ministres qui dans la salle riaient de lui et de la mort de son père.

Je leur rendrai la monnaie de leur pièce, lorsque je serai roi, pensa Mathias.

 


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Notes

[1] À cette époque, en 1922, l’électricité était un grand progrès très récent et avoir la « lumière électrique » était apprécié comme un luxe.

[2] Acronyme (initiales) de l’ancien ministère français de la Poste et des Télécommunications, appelé à sa création : Ministère de la Poste et des Télégraphes.

 

 

 

Commentaires sur la traduction

[T1] En remplacement de : « non pour écouter, car »

[T2] En remplacement de : « pas seul ouvrir les portes ».

 

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20/04/2004 - Revu le : 27/06/09