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(28) Le roi Mathias Ier
[Discours de Mathias au Conseil des ministres]

 

 

Un jour, pendant l’audience de l’après-midi. Mathias entendit un vacarme insolite dans la salle d’attente.

D’abord, il ne s’étonna pas beaucoup car les enfants, habitués aux réceptions, ne restaient plus assis silencieusement en attendant l’audience. Mais ce bruit était d’un autre genre. On aurait dit une querelle.

Mathias envoya un laquais pour l’informer de ce qui se passait. Le laquais revint avec la réponse : un adulte s’entêtait et voulait absolument entrer chez le roi. Cela intrigua Mathias et il ordonna qu’on le laissât entrer.

Un jeune homme avec une serviette de cuir sous le bras, des cheveux longs, entra et sans même faire une révérence commença à parler à haute voix.

— Majesté Royale, je suis un journaliste, c’est-à-dire que j’écris dans les journaux. Depuis un mois, je sollicite d’être admis à une audience, mais on ne me laisse pas entrer. Ils disent toujours « demain, demain » et puis ils racontent que le roi est fatigué et ils m’ordonnent de revenir le lendemain. Aujourd’hui, j’ai fait semblant d’être le père d’un enfant, je pensais ainsi pénétrer ici plus vite. Mais les laquais m’ont reconnu et n’ont pas voulu me laisser passer. J’ai une affaire importante, même plusieurs affaires importantes et je suis certain que Votre Majesté daignera m’écouter.

— Bien ! dit Mathias, attendez que j’aie réglé les affaires des enfants, car c’est le moment que je leur consacre et après je vous écouterai.

— Votre Majesté me permettra-t-elle de rester dans la salle du trône ? Je vais me tenir tranquille et je ne dérangerai pas. Demain j’écrirai dans les journaux comment se passe l’audience des enfants chez le roi : cela intéressera certainement les lecteurs du journal.

Mathias donna l’ordre d’offrir une chaise au journaliste et celui-ci pendant tout le temps de l’audience, écrivit sur son bloc-notes.

— Vous avez la parole, dit Mathias, quand le dernier des garçons sortit de la salle du trône.

— Roi, commença le journaliste. Je ne prendrai pas beaucoup de temps et je parlerai brièvement.

Mais malgré cette promesse, le journaliste parla très longuement et de façon intéressante. Mathias écoutait attentivement. Enfin il l’interrompit :

— Je vois qu’en effet l’affaire est importante. Je vous prie donc de m’accompagner à mon repas du soir et ensuite nous nous rendrons à mon cabinet et vous terminerez.

Jusqu’à onze heures du soir, le journaliste parla. Mathias marchait à travers le cabinet, les mains croisées derrière le dos, et écoutait, l’esprit tendu. Pour la première fois Mathias voyait quelqu’un qui écrivait dans les journaux. Il était obligé de reconnaître que c’était un homme sage et, malgré qu’il fût adulte, totalement différent de ses ministres…

— Écrivez-vous seulement, ou dessinez-vous aussi ?

— Non, dans chaque journal, il y a des gens qui écrivent et d’autres qui dessinent. Si Votre Majesté Royale voulait visiter notre journal demain, nous en serions très heureux.

Depuis longtemps, Mathias ne quittait pas le palais. Il accepta donc volontiers l’invitation. Le lendemain, sans perdre un instant, il se rendit en voiture aux bureaux du journal.

C’était un grand immeuble, décoré de drapeaux pour la réception de Mathias ; tapis déroulés et fleurs. Au rez-de-chaussée, il y avait d’immenses machines qui imprimaient les journaux ; plus haut, à l’étage, se trouvait le bureau d’où l’on expédiait le journal à la poste et où l’on prenait les abonnements. À côté, il y avait un comptoir où l’on recevait les annonces et le paiement des factures. À l’étage au-dessus se trouvait la rédaction. Autour des tables des Messieurs étaient assis ; ils écrivaient et immédiatement leurs pages étaient imprimées dans la salle en bas. On leur apportait des télégrammes du monde entier, le téléphone sonnait sans arrêt, des garçons poisseux[T1] couraient pour porter les textes à l’imprimerie. On écrivait, on dessinait, les machines à écrire crépitaient. On se serait cru à la guerre pendant une attaque.

On offrit à Mathias, sur un plateau d’argent, un journal sortant des presses où l’on voyait sa photographie le représentant recevant les enfants pendant l’audience. On y avait reproduit tout ce que les enfants disaient à Mathias et ce qu’il leur répondait. Mathias passa deux heures au journal, enchanté de constater qu’ici tout allait si vite. Il ne s’étonnait plus qu’on suivît dans les journaux tout ce qui se passe n’importe où : incendies, vols, accidents sur la voie publique et tous les gestes des rois et des ministres du monde entier.

Le journaliste donc avait raison en disant que les journaux savent tout.

Presque instantanément, les journaux avaient rapporté tout ce qu’avait fait Mathias en visite chez les rois étrangers. Avec la même rapidité, ils avaient rendu compte de tous les événements de la guerre. Ils avaient appris immédiatement que Mathias revenait du pays des mangeurs d’hommes.

— Comment n’avez-vous pas su que j’avais fui le palais pour le front, et qu’ici il n’y avait qu’une poupée de porcelaine ?

— Mais oui, nous le savions parfaitement, mais nous n’annonçons pas toutes les nouvelles. Nous relatons seulement dans les journaux ce qui peut être utile à connaître, mais nous ne parlons pas de bien des choses que nous sommes seuls à savoir. La nation n’a pas besoin d’être mise au courant de tout ce qui est inutile, et il faut qu’à l’étranger on ignore beaucoup de nouvelles.

Ce même soir, le roi Mathias parla longuement avec le journaliste.

— Tout ce que fait Mathias, ce ne sont pas des réformes, affirmait le journaliste. Si Mathias n’est pas encore un réformateur, il peut le devenir, puisqu’il veut que la nation entière gouverne le pays. Il faudrait alors créer deux Parlements, l’un pour les adultes, l’autre pour les enfants. Pourquoi les enfants n’éliraient-ils pas aussi leurs députés ? On saurait alors s’ils préfèrent du chocolat, des poupées ou des canifs ou toute autre chose. Peut-être aimeraient-ils mieux des bonbons ou des chaussures ou même de l’argent pour que chacun achète ce qui lui plairait. Les enfants devraient avoir aussi un journal comme les adultes, il paraîtrait tous les jours. Ils pourraient écrire dans ce journal ce qu’ils désirent, empêcher que le roi ne fasse ce qui lui passe par la tête, car le monarque ne peut pas savoir ce que désire chaque enfant, mais le journal, lui, sait tout. Par exemple, à tel moment, tous les enfants n’avaient pas encore reçu leur chocolat ; à la campagne des fonctionnaires l’avaient mangé et ils n’avaient rien distribué. Les enfants ignoraient que du chocolat leur était destiné ; ils n’avaient pas de journal.

Mathias sentait ces idées tellement claires qu’il lui semblait avoir imaginé et connu tout cela depuis longtemps. Pendant quatre soirées, il délibéra ainsi avec le journaliste et toutes ces questions se classèrent dans sa tête. Il prit la parole à ce sujet au Conseil des ministres :

— Messieurs les Ministres, commença Mathias, après avoir bu de l’eau car il avait l’intention de parler longtemps. Nous avons décidé que la nation gouvernerait et qu’elle pourrait dire ce dont elle a besoin. Vous avez oublié que la nation n’est pas seulement formée par les adultes, mais qu’il faut tenir compte, aussi, des enfants. Il y en a plusieurs millions, eux aussi doivent participer au gouvernement.

Je veux qu’il y ait deux parlements : un pour les adultes avec les députés et les ministres ; et un second, le Parlement des enfants, où les enfants seront aussi députés et ministres. Je suis le roi des adultes et des enfants ; mais si les adultes considèrent que je suis trop petit pour eux, qu’ils élisent un roi à leur taille et je resterai le roi des enfants.

Mathias but de l’eau à quatre reprises. Il parla très longtemps, les ministres comprirent que ce n’était pas une plaisanterie, qu’il ne s’agissait pas de chocolat, ni de patins ou de balançoires, mais d’une réforme très importante.

— Je sais que ce sera très difficile, conclut Mathias. Toutes les réformes sont difficiles. Mais il faut commencer. Si cela ne me réussissait pas parfaitement, mon fils ou mon petit-fils achèveraient cette œuvre.

Les ministres baissèrent la tête. Mathias n’avait jamais parlé aussi longtemps, ni aussi raisonnablement. C’était en effet une vérité, les enfants font aussi partie de la nation et ils ont aussi le droit de gouverner. Mais comment faire ? En seront-ils capables ? Ne sont-ils pas trop ignorants ?

Les ministres n’osaient pas dire que les enfants sont des incapables puisque Mathias était un enfant. « Difficile : il faudra essayer », murmuraient-ils.

On pourrait fonder d’abord le journal des enfants. Mathias avait rapporté beaucoup d’or, on possédait donc l’argent nécessaire. Mais qui écrirait dans ce journal ?

— J’ai déjà un journaliste et Félix sera ministre, répondit Mathias.

Il était très important pour Mathias de convaincre Félix qu’il n’avait pas cessé d’être son ami. Félix l’agaçait souvent en disant :

— La bonne grâce du Seigneur va caracoler sur un cheval pie. À la guerre, sous les balles, Félix était au premier plan. Mais au bal, au théâtre et au bord de la mer pour ramasser les coquillages, Stani et Hélène lui étaient supérieurs. Félix était allé avec lui au pays des mangeurs d’hommes, le voyage passait pour un dangereux exploit. Alors la maman de Stani et d’Hélène n’avait pas permis à ses enfants d’accompagner Mathias.

— Eh bien quoi ! Je suis fils d’un simple sous-officier et non d’un capitaine, disait-il. Et si un nouveau danger se présente, peut-être Félix sera-t-il de nouveau nécessaire.

C’est très vilain d’accuser quelqu’un d’être orgueilleux, mais c’est encore pire de laisser supposer qu’on peut être ingrat.

Il se présentait là justement une occasion de convaincre Félix qu’il se trompait et de lui prouver que Mathias ne pensait pas à lui seulement dans l’infortune. Félix était sans cesse avec les enfants. Dans toutes les rues on pouvait le voir avec eux. Il connaissait donc certainement leurs besoins.

 

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Commentaires sur la traduction

[T1]Traduction perfectible.

 

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15/05/2004 - Revu le : 7/09/09